Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

9 déc. 2008

Article – Balandier, 2008

Auteur : Georges Balandier
Titre : L'Afrique sait ce qu'elle est
dans: Afrique ambiguë
Maison d’édition : Plon
Année : 2008
Mots clés : Afrique, incompréhension par l'occident

Dans cette préface de l'édition de 2008 de l'Afrique ambiguë, l'anthropologue français Georges Balandier parle de la méconnaissance de l'occident par rapport à l'Afrique, et des conséquentes erreurs d'interprétation du contexte africain.
"L'Afrique, elle, sait ce qu'elle est. Elle l'a toujours su, mais nous en Occident, et beaucoup d'autres aussi, avons simplifié sa complexe réalité, ignoré sa force d'être et de maintenir ce qu'elle est, par notre incapacité peut-être, par paresse et calcul surtout." (p.I)
Pour Balandier, s'il y a encore des situations inacceptables, il y a aussi des processus de changement vers la démocratie, le développement, la reconnaissance des droits de l'homme…

Je voudrais seulement souligner un passage que me semble particulièrement parlant sur l'incompréhension du contexte africain par les occidentaux et l'insistance sur un modèle d'assistance venant de l'extérieur, comme si des solutions locales ne pouvaient pas émerger. Parlant du cas de "L'Arche de Zoé" qui "a prétendu évacuer en France une centaine d'"orphelins du Darfour", destinés à des familles d'accueil qui ont contribué financièrement à l'opération" (p.IX), Balandier dit que
cette affaire "manifeste la méconnaissance des rapports sociaux africains, des symboles et pratiques que les expriment, elle montre le maintien d'une imagerie qui fait accroire aux gens que les remèdes à une supposée incapacité africaine doivent nécessairement venir "du dehors"" (p.X)
Il cite la conclusion de Régis Debray sur ce type de dérive humanitaire:
pour meilleur, une charité sans frontières, pour le pire, "l'insouciance de ce qui fait que l'autre est un autre, et non pas le faire-valoir de notre suréminence." (p.X)

8 déc. 2008

Réunion point d'avancement à FARM 08déc08

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse. et Solène Morvant, chef de projet microfinance à FARM
Quand : le 08 décembre 2008, de10h à 12h
Où : à FARM
Objet : présentation et discussion sur le cadrage de la thèse

sur le cadrage:
  • il faut laisser claire ce je que compte faire, la valeur ajoutée de mon travail par rapport aux recherches qui ont déjà été faites.
  • Blanchard dit qu'il faudrait citer des projets appuyés par la BM et l'OCDE pour montrer que dans la majorité des cas l'approche choisie n'est pas celle de l'adaptation aux réalités locales avec un rôle central des acteurs locaux.
  • Solène dit qu'il est important de citer des études qui sont à la base de quelques conclusions présentées, de façon à laisser claire la légitimité scientifique de ces conclusions.

sur le vocabulaire:
  • "appropriation" est plus précis que "utilisation", Blanchard croit que le danger d'interprétation comme prescription des objets techniques existe dans les deux cas, donc l'idéel serait d'utiliser le premier terme et de laisser toujours claire l'approche socioculturelle et l'attention aux besoins exprimés par les agriculteurs. Un terme à éviter est "adoption" des technologies!
  • Blanchard suggère de parler plutôt de "services" que de "technologies", finalement c'est l'information que nous intéresse, l'objet technique derrière est relatif ("on peut faire de la téléphonie avec internet et vice-versa").
  • faire attention à la présentation de l'approche de l'innovation et bien préciser que, même si le nom de l'approche ne le précise pas, il s'agit d'une innovation technique, que cette approche ne tient pas en compte des innovation méthodologiques et des usages effectifs.

sur le fond:
  • Solène suggère la lecture des sujets de la construction sociale des marchés et de l'inégalité d'accès à l'information, elle me donnera des références.
  • Solène suggère qu'il serait important d'étudier le discours des usagers sur les TIC. Elle donne un exemple intéressant sur la représentation des concepts étrangers par des locaux qui rend évident le volet symbolique de cette représentation: l'utilisation du mot "corde" pour signifier "dette", car celle-ci attache, limite la liberté. Elle a rappelé que les africains sont très imagés.
  • Sur le détournement de priorités en Afrique, Blanchard parle d'enquêtes faites au Mali, et dit que des nombreuses personnes qui déclaraient d'un côté ne pas arriver à équilibrer leurs budgets, étaient par l'autre côté prêtes à dépenser 1000 FCFA par semaine avec le téléphone portable. Cela non pas en raison d'une question de reconnaissance sociale, mais de besoins concrets par rapport à des liens sociaux. D'autres études semblent montrer qu'une augmentation de consommation avec le téléphone portable engendrait une diminution de la consommation de bière.

sur la méthodo:
  • Solène va me suggérer des références sur des outils méthodologiques, parfois quantitatifs, qui peuvent être intéressants (présentation des résultats avec des graphiques en toile d'araignée).
  • Solène dit aussi qu'il ne sera pas facile d'isoler la par des TIC dans les influences sociales étudiées.

sur le terrain:
  • Solène a attiré l'attention à l'importance de rester ouvert à l'expérience du terrain, étant toujours prêt à adapter les approches et mêmes les questions selon la réalité rencontrée sur le terrain.
  • Blanchard considère qu'une bonne échelle pour le terrain serait la zone d'actuation d'une OP, l'important étant d'intégrer dans l'analyse tous les maillons de la chaine de production (mais aussi la chaine d'information, n'est-ce pas?...).
  • il serait intéressant de privilégier des zones de production vivrière.
  • Blanchard suggère le repérage de 4 ou 5 cas pour ensuite procéder au choix du plus pertinent.

général:
  • Dans le même esprit de la visite d'expériences en Inde, Blanchard suggère qu'il serait instructif de regarder des expériences en Afrique de l'Est.
  • Blanchard suggère le film "Bamako".

Merci à Monsieur Blanchard et à Solène de l'attention et de ces suggestions!

5 déc. 2008

Rdv avec Alain Retiere

Avec : Alain Retière
Quand : le 05 décembre 2008, de 15h15 à 16h15
Où : FARM
Objet : point d'avancement de la thèse

Quelques points abordés par Alain dans ses commentaires sur la thèse:
  • la question de l'échelle de la recherche: le terrain d'étude sera un village, un groupe de villages, une région, …? Selon lui il serait intéressant de ne pas trop limiter l'étendu du terrain (en pratique, ne pas faire la recherche sur un seul village!), car en communication il faut prendre en compte la notion de réseau, exposée dans la suite.
  • la notion de réseau: importance de l'interaction des membres de la communauté avec des acteurs extérieurs dans la circulation de l'information. Alain dit que probablement le rôle du téléphone portable, par exemple, n'est pas essentiel pour la communication au sein d'un même village, mais dans le contact de ce village avec d'autres centres. Il dit qu'il serait intéressant de comparer un village qui a l'accès aux TIC et que les utilise et un autre que ne l'a pas.
  • les signes extérieurs dans l'utilisation des objets techniques: des postures, des manipulations (comment l'usager joue avec l'objet, même en dehors du cadre spécifique d'utilisation), des comportements. Il souligne l'importance de la signification symbolique de ces objets. Exemple du "chef" africain qui "n'a pas de cartable", qui a tout sur soi, et que tient le téléphone portable à la main, même sans l'utiliser, peut-être comme un symbole de pouvoir.
  • l'intérêt d'aller voir comment se passe l'utilisation des TIC dans des villages indiens (donner préférence à voir directement sur le terrain, avec les agriculteurs), et peut-être aussi dans d'autres pays, comme le cas du Nicaragua (où, en raison d'une initiative privé, le réseau de fibres optiques s'est énormément développé de façon que quelques villages sont passés d'un état de non connexion, directement à la connexion de haut débit).
  • possible différence de nature des savoirs construits de façon traditionnelle d'un côté, et avec des informations véhiculées par les TIC de l'autre? à explorer.
  • à creuser: protocoles ethnographiques ou ethnologiques? ou psychosociologiques? ou anthropologiques?

Alain s'intéresse beaucoup à l'eGouvernance et au potentiel des TIC de générer des nouvelles marges de manœuvre pour les usagers, vis-à-vis des systèmes, des institutions en place. Pour illustrer il fait allusion à a façon par laquelle les personnes d'une petite communauté éluent leurs représentants politiques. Il dit qu'en beaucoup de cas, les personnes choisissent celle parmi elles qui a le plus grand contact avec l'extérieur. Il cite aussi l'exemple des 2 chefs pour les peuples descendants des Mayas: le chef "espagnol" (même si c'est un locaux c'est quelqu'un qui est proche de la logique d'exploration d'un pouvoir officiel, et normalement loin du terrain, du travail de la population) et le chef "du travail", celui dont la légitimité est basé sur son autorité dans les activités concrètes de la communauté. Dans une bonne partie des cas, les élus des petits villages y passent dans le moment des campagnes électorales (aussi pour faire leurs promesses…), et après l'élection, vont vivre en grande ville. Ces mêmes élus vont passer dans les villages de temps en temps et dire ce qu'ils veulent sur ses activités parce que personne n'est en mesure de confirmer ou infirmer ce qu'il dit. Alain espère que l'utilisation des TIC pourra donner aux usagers accès direct à des informations permettant un plus grand contrôle, de façon qu'ils puissent s'en passer des médiateurs dans les circuits de l'information. C'est certainement une problématique intéressante. Même n'étant pas au sein de la thèse, il vaut la peine la garder dans un coin de la tête et prendre en compte des enjeux d'eGouvernance également.

2 déc. 2008

Réunion avec CM

Avec : Claude Meyer, directeur de thèse
Quand : le 01 décembre 2008, de 16h45 à 17h15
Où : Gare d'Austerlitz
Objet : commentaires sur le texte du cadrage

Une très brève réunion pour avoir quelques commentaires de CM sur le document de cadrage de la thèse. Il est content avec le résultat de ce travail mais rappelle que je suis en retard et donne plusieurs suggestions.
  • il faut être plus spécifique par rapport aux objets techniques qui seront pris en compte, évitant allusion générale aux TIC. Il avait suggéré le téléphone portable, mais il est d'accord pour inclure également l'internet, en sachant qu'il va falloir préciser comment aborder l'utilisation de ces objets. Il me semble que l'idée est d'aborder la complémentarité entre ces deux technologies. CM affirme, néanmoins, qu'en termes de méthodologie il faut passer par une approche comparative entre les deux.
  • dans ce sens, il faut définir "téléphone portable" (voir travaux de Patrice FLICHY) et "usages d'internet" dans le contexte de notre intérêt.
  • il faut explorer davantage d'auteurs Africains.
  • il faut explorer les autres langues: PT et EN.
  • pour la méthodo, il vaut mieux continuer de lire des articles et essayer d'identifier quelle est la méthodologie utilisée par les auteurs en question (éviter d'aller vers des bouquins spécifiques, ou des dictionnaires de méthodo).
Suggestion de points à aborder:
  • l'opposition entre sociétés moderne et traditionnelle (monde que ne change pas, où l'innovation n'est pas bien vue, registre de croyances, rôle de l'analogie)
  • la différence entre les représentations individuelle, sociale et collective (voir livre Meyer);
  • les couches culturelles (demander référence à Meyer – je n'ai pas trouvé "Gert Geersted")
On n'a pas eu le temps d'aborder plusieurs questions… comme l'intérêt et le timing pour étudier la typologie des exploitations agricoles, et le choix du terrain.

CM m'a demandé pour d'ici quinze jours une vingtaine de pages avec l'évolution des ces recherches, approfondissant la problématique.

27 oct. 2008

des besoins étrangers

Voici une citation intéressante!

"L'un des obstacles au développement du Tiers-monde, c'est la propagation internationale des "besoins" qui se manifestent dans les pays riches, lesquels induisent, par la publicité, l'image ou le récit le désir d'imitation dans les pays moins "avancés" et détournent vers la consommation une partie des ressources qui auraient pu être consacrées à des investissements productifs."

Lê Thành Khôi, dans "Culture, créativité et développement", Paris, L'Harmattan, 1992.

Référence: Ken LOHENTO (2003). Usages des NTIC et médiation des savoirs en milieu rural africain: études de cas au Benin et au Mali. Mémoire de DEA dirigé par Jacques Perriault, Université Paris X - Nanterre.

Réunion besoins en information 22oct08

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse; Cecilia Bellora, chef de projet politiques agricoles à FARM; et Mathilde Douillet, chef de projet vivrier à FARM
Quand : le 22 octobre 2008, de 15h à 16h30
Où : à FARM
Objet : caractérisation des agriculteurs, de leurs activités et hypothèses sur leurs besoins en information

L'objectif de cette réunion était de discuter plus longuement la question de la caractérisation des informations pertinentes pour les agriculteurs africains. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans la formulation d'hypothèses sur les besoins en information des agriculteurs. Ces facteurs témoignent de l'importance d'aspects économiques mais aussi socioculturels dans cette analyse.

Dans la logique de centrer la recherche sur l'agriculteur et de tenter saisir ce qu'il a à l'esprit (ce qu'il fait, ce qu'il veut), voici quelques points de réflexion:

Il faut comprendre la structure et la dynamique des exploitations agricoles en question. Il serait donc intéressant d'étudier les typologies d'exploitations pour mieux comprendre la disposition et la répartition des moyens de production (dans l'espace et dans le temps), car de cette dynamique naissent les besoins en informations professionnelles. Ces typologies sont des grilles d'analyse qui aident à caractériser les exploitations de façon plus ou moins objective. Même étant important de faire attention aux limites de ces grilles face aux spécificités locales, les typologies sont un bon point de départ dans l'effort de caractérisation des exploitations agricoles. Dans ce sens, Cecilia et Mathilde m'ont suggéré la lecture de quelques articles du "Memento de l'agronome" et d'exemples pratiques dans le livre "Agricultures et paysanneries des Tiers mondes", de Marc Dufumier.

Essayant de lister des besoins probables en information des agriculteurs, on trouve facilement une première catégorisation: d'un côté des informations d'ordre personnel (nouvelles de la famille, réseau social non professionnel, etc.), et de l'autre côté des informations professionnelles. Ces dernières peuvent être liées à:
  • la production: informations sur les intrants (fournisseurs, prix, délais), des prévisions météorologique, des conseils techniques (d'intérêt général, spécifiques sur une culture, ou plus encore, personnalisés);
  • la commercialisation: sur les intermédiaires, sur les prix dans les divers marchés pertinents, sur le transport des produits jusqu'aux marchés (état des routes, coût associé au transport);
  • l'organisation professionnelle: sur des activités institutionnelles (réunions, assemblées), sur des projets et institutions d'aide au développement (éligibilité et comment en bénéficier);
  • le financement: information sur le crédit et l'assurance, auprès des fournisseurs d'intrants et auprès d'une IMF (institution de micro finance)

Il faut intégrer des informations stratégiques pour la prise de décision aux caractéristiques propres de l'exploitation. Par exemple: au moment du choix de quel produit cultiver, des informations prévisionnelles sur l'offre et la demande (basées sur l'historique de production et des prix dans la région, et sur les tendances des marchés en question), d'une nature beaucoup plus volatile et incertaine que les informations techniques propres aux ressources de l'exploitation, s'ajoutent à ces dernières dans l'analyse des contraintes et opportunités pour la campagne en cours.

Il est difficile de généraliser les besoins en information des agriculteurs, ces besoins sont très spécifiques dans le temps (moment du cycle cultural), par rapport à la culture en soi (produit agricole cultivé), et par rapport au contexte de production. Il est très important d'être proche du terrain dans la définition de ces besoins. Les OP pourraient peut-être jouer ce rôle (elles les font déjà dans certains cas), mais il faut faire attention à l'écart qui peut exister entre l'intérêt des leaders des OP et les besoins effectifs des agriculteurs représentés.

Plusieurs facteurs viennent complexifier l'analyse des besoins en information dans le cas des petites exploitations agricoles africaines. Quelques uns de ces facteurs adviennent du fait que, dans la grande majorité des cas, les exploitations ne sont pas (et n'ont pas eu la condition de l'être jusqu'à présent) structurées comme des entreprises. On peut constater cela par l'absence d'une dynamique structurée de réinvestissement productif, mais aussi par l'absence de salariés et par une forte superposition entre les sphères professionnelle et familiale. Des facteurs socioculturels et économiques sont imbriqués, par exemple, dans le mélange des dépenses et recettes de l'exploitation et de la famille dans une seule trésorerie. Un autre facteur: les produits des petites exploitations peuvent normalement être commercialisés dans plusieurs marchés, ces marchés ne sont pas en règle générale harmonisés entre eux. Dans ce contexte, l'information commerciale est d'autant plus spécifique et difficile à obtenir de façon fiable.

La promotion de l'accès à l'information économique implique des questions de pouvoir. Avec un marché plus transparent, il y a moins de place pour la spéculation. Le pouvoir de négociation du producteur bien informé augmente face à l'intermédiaire. Si d'un côté le bénéfice pour le producteur est clair (sa marge de bénéfice augmente), de l'autre côte on pourrait imaginer que la perte de pouvoir relatif dans la négociation serait mal reçue par les intermédiaires. Pourtant, Monsieur Blanchard a attiré notre attention au fait que souvent les intermédiaires perçoivent la transparence également du côté positif, et cela surtout grâce à la réduction de risques – avec un système plus transparent les intermédiaires peuvent mieux planifier leurs activités et récupérer la marge de bénéfice perdue par rapport à la situation de manque de transparence.

Quelques suggestions:
  • organiser une nouvelle réunion pour faire la point d'avancement académique dès que le travail de cadrage soit prêt et envoyé au directeur de thèse;
  • lire le préface et l'introduction du livre "Histoire des agricultures du monde", de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart;
  • lire des exemples de typologie d'exploitation agricoles dans le livre "Agricultures et paysanneries des Tiers mondes", de Marc Dufumier;
  • consulter le Memento de l'agronome.
*

Rdv avec Shabnam Vaezi

Avec : Shabnam Vaezi, maître de conférence à Tours
Quand : le 08 octobre 2008
Où : à la BNF
Objet : orientation pour la thèse

Shabnam a été très sympathique avec moi et m'a orienté de façon informelle sur l'organisation de mon travail de thèse et sur la dynamique d'interaction avec le directeur de thèse. Elle m'a également suggéré l'utilisation de quelques bases de données avec des articles scientifiques dans le domaine des sciences de l'information, comme par exemple FRANCIS.
Surtout il a été important pour moi de mieux comprendre l'intégration des théories de référence dans le travail. Une séquence simplifiée du travail de la thèse que me semble cohérente et qui m'a été rappelé par Shabnam est la suivante:
  • définir une problématique bien basée sur une théorie de référence;
  • se renseigner sur l'état de l'art de la question (tour des travaux scientifiques déjà réalisés dans le domaine);
  • faire évoluer la problématique (en l'adaptant par rapport à l'état de l'art de la question);
  • définir la méthode de travail de terrain;
  • réaliser le travail de terrain;
  • analyser les résultats.
Elle m'a également rappelé de l'importance d'écrire! dès le début de la thèse.
Merci encore Shabnam!

20 oct. 2008

Article – BOULLIER, 2001

Auteur : Dominique Boullier
Titre : Les machines changent, les médiations restent*
in: Actes du colloque "La Communication médiatisée par Ordinateur: un carrefour de problématiques", Université de Sherbrook: 15-16 mai 2001
Année : 2001
Mots clés : CMO, médiation, appropriation

Tout d'abord je voudrais citer les trois postures dans la recherche en communication médiatisée par ordinateur (CMO) qui sont indiquées par Boullier. La première est liée directement à la prolifération de formes techniques et se résume à une description des changements des outils techniques, ce qui donne un résultat valable à très court terme et donc d'intérêt limité pour la recherche scientifique si vue de façon isolée. Ensuite, une deuxième posture est basée sur la sélection de technologies à prendre en compte, ce qui, selon Boullier, est légitime, même qu'il soit difficile de justifier le choix d'une forme technique particulière en détriment des autres. Enfin, la troisième posture serait la formulation par essence, où on essaie de construire des "véritables objets scientifiques", c'est-à-dire qui soient indépendants des variations observables des objets matériels. Dans ce dernier cas, on cherche à rendre compte des processus qui structurent les phénomènes de communication à travers la technologie. Le danger là c'est d'établir des raisonnements stimulants intellectuellement, "mais peu fondés dans l'observation empirique de la technique elle-même".

Selon Boullier, c'est une composition entre les postures qui donnera cohérence à la recherche à la fois du côté théorique que du côté pratique. Ainsi il suggère de "s'obliger à définir les traits de ce que l'on découpe a priori dans le monde comme son champ d'étude afin de le construire comme un objet. (…) Il faut à la fois parier sur une définition provisoire, qui a vocation à être révisée, et en même temps tenir compte des catégories ordinaires des acteurs en situation."

"Le travail de définition provisoire doit nous permettre de comparer (d'où l'utilité de la prolifération, des histoires, des inventaires, des contextes repeuplés) (le local) de fonder, de trouver des points de passage entre tous ces objets en nous entendant sur les processus qui mettent en forme cette opération, d'où l'utilité de discuter sur les 'essences' (l'universel)."

Boullier dit qu'il faut rendre l'aller-retour entre le local et l'universel dynamique et heuristique.

Cela dit, et avant de suggérer des paramètres de caractérisation des acteurs, Boullier nous parle des écarts qui existent entre les termes du discours de "l'idéologie du réseau" et ceux d'une théorie critique. Il justifie cette préoccupation en parlant de l'influence des discours sur l'usage et les attentes, car, selon lui, "les techniques sont parlées, et elles sont toujours parlées avant d'être manipulées". Voici donc quelques simplifications maladroites induites par l'idéologie du réseau:

Explicitation au lieu de Tacite et implicite
Calculabilité au lieu deIncertitude
Mémoire au lieu de Oubli
Connaissances au lieu de Ignorance
Multimédia intégré au lieu de Sélection et combinaison
Standardisation au lieu de Adaptation au contexte
Univocité au lieu de Ambiguïté
Compréhension au lieu de Malentendu
Efficacité / performance au lieu de Ratage
Intuition au lieu de Médiations et conventions
Partage au lieu de Conflit
Personnalisation au lieu de Marques culturelles
Individu au lieu de Cercles sociaux
Communautés au lieu de Instabilité
Réseau au lieu de Institutions

Finalement, Boullier parle de l'identification et de la caractérisation des entités sociales pertinentes participantes de la CMO. Il affirme tout d'abord qu'elles ne sont pas identifiées a priori, mais plutôt "positionnées en cours d'action par les programmes, par les machines, par les responsables des services, par les acteurs ordinaires eux-mêmes". En plus, il dit que toute cartographie ou caractérisation des entités sociales pertinentes est indicative, et n'est jamais définitive. Selon Boullier, il faut "partir de l'incertitude sur la nature des participants dans toute situation de CMO pour comprendre le travail propre de la médiation, ce qu'elle va transformer et faire exister".
Il suggère ensuite des critères et des paramètres pour décrire les entités pertinentes en cours de construction (je ne cite ici que ceux qui m'ont plus attiré l'attention):
  • de la nature des acteurs: "ne pas trop rapidement séparer ce qu'il en est des humains et des machines" car "des entités mixtes existent";
  • des modes d'engagement et de coordination des acteurs (tenir compte de la diversité des attachements);
  • des régimes d'action des acteurs (ne pas s'appuyer sur une catégorisation entre "novices" et "experts", mais essayer de comprendre la dynamique des modes d'action des acteurs) – voir les modes dans l'article (modes replié automatique, replié familier, replié opportuniste, déplié avec explicitation, déplié avec tradition, et déplié avec négociation);
  • le degré d'extension (pour chaque acteur) de l'univers supposé partagé: avec qui, parmi les personnes de son réseau, l'acteur peut être en contact à travers la technologie? comment ils se voient représentés dans ce monde virtuel? **
"(…) il est nécessaire d'avoir des correspondants pour pouvoir échanger: les pionniers dans une catégorie sociale doivent essuyer les plâtres et constatent alors que cet univers n'est pas si partagé et peuplé qu'on le dit car aucun de leur semblables, ou tout au moins de proches, n'est connecté, dans un premier temps."
  • des divers statuts des acteurs: leader, intermédiaire (à l'intérieur d'une communauté, entre communautés), exploitant d'information, source d'information, etc. (en faisant attention à la dynamique, au changement de statut des acteurs).

"L'extériorité de la technologie" me semble une expression à retenir et à utiliser dans l'analyse de l'appropriation des TIC par les agriculteurs ouest-africains. Cette notion reflète le niveau d'appropriation de la technologie par l'usager. Pour la majorité des agriculteurs africains, qui n'ont pas encore eu un grand contact avec les TIC, par exemple, ces dernières ne sont ni naturelles, ni évidentes. On dirait donc que l'extériorité des TIC pour les agriculteurs africains reste forte – ils n'ont pas encore intériorisé quelques outils techniques dans leurs démarches de communication. La réduction de l'extériorité des TIC, dans le mode d'interaction des usagers avec la technique, peut donc être vue comme un indicateur d'appropriation.

"L'inventaire des médiations techniques ne suffit pas puisqu'il faut être en mesure de dire comment les acteurs leur attribuent ou non des statuts de médiations et à quelles conditions de félicité." De cette phrase on peut inférer que citer les voies d'accès des agriculteurs à l'information simplement ne suffit pas, il faut comprendre le rôle qu'ils attribuent à chacune des voies et les conditions pour qu'elles soient efficaces dans la médiation de l'échange.

Boullier conclut son article disant que la recherche dans le domaine de la CMO doit se concentrer dans la compréhension de l'alignement (Antoine Hennion) nécessaire entre les diverses médiations pour qu'elles soient le plus facilement appropriables par les usagers. L'idée serait de "repérer comment se 'naturalisent' certains montages grâce à la cohérence de leurs dispositifs".

__________
* Article consulté en ligne le 13 octobre 2008, ici.

** "Le 'fossé numérique' prend des formes plus variées qu'on ne pense et il est avant tout fait de diversité culturelle."

pistes à explorer:
  • B Bachimont, 1999 (selon Boullier, pour "montrer comment les supports des connaissances formatent mais aussi font émerger des connaissances")
  • Jean Gagnepain, 1994 (selon Boullier, travaux "sur notre compétence technique", un repère théorique vraiment élaboré en sciences humaines)
  • Gilbert Simondon, 1969 (selon Boullier, travaux "sur notre couplage avec les machines", un repère théorique vraiment élaboré en sciences humaines)
  • Boltanski et Chiapello, 1999 (selon Boullier, montrer comment "l'idéologie du réseau" est percolé chez les utilisateurs)
  • Bruno Latour, 1994 (selon Boullier, "le modèle de l'acteur-réseau de Callon et Latour permet d'ailleurs de tenir compte d'un enrôlement de tous les acteurs possibles en cours de projet ou d'action, sans que l'étendue du réseau soit a priori elle-même délimitée.")

Entretien avec Michel Puech

Avec : Michel Puech, philosophe
Quand : le 16 octobre 2008, de 15h30 à 16h30
Où : à la Sorbonne
Mots-clés: TIC, appropriation, culture, éthique

Dans cette discussion avec le philosophe Michel Puech, on a abordé la question de l'appropriation des TIC dans un contexte culturel différent. On a discuté sur la dynamique d'appropriation, sur l'importance de la compréhension des besoins et de la vision du monde de l'utilisateur potentiel, sur l'intérêt ou la nécessité d'intermédiaires dans l'utilisation des TIC par des agriculteurs, et finalement, sur des questions éthiques liées à l'influence culturelle.


Deux phases d'appropriation

Puech suggère que le processus d'appropriation des TIC a deux phases distinctes. La première est une phase d'amorçage, où il faut franchir la barrière d'apprentissage (la barrière d'appropriation) qui sépare les utilisateurs potentiels d'un côté, et les TIC de l'autre. Probablement il aura une dimension pédagogique à explorer pour franchir cette barrière culturelle dans le cas des agriculteurs ouest-africains. C'est seulement après que cette phase est franchie qu'il y a la possibilité d'atteindre la maitrise partielle et la manipulation autonome des TIC, une phase dans laquelle les utilisateurs adaptent l'usage des TIC de façon indépendante et innovante, selon leurs propres besoins spécifiques. Un exemple ce sont les jeunes qui commencent par utiliser des blogs avec les fonctionnalités standardisées et que dans la suite s'engagent dans l'apprentissage d'un langage de communication spécifique qui leur permettra d'adapter et créer des nouvelles fonctionnalités selon leurs propres intérêts.


"Entrer dans la culture"

Puech considère qu'avant de faire de propositions sur l'utilité des TIC dans un contexte donné, il faut tenter "d'entrer dans la culture" en question. Il faut comprendre ce qui l'usager potentiel a à l'esprit, ce qu'il fait et ce qu'il veut. Des propositions artificielles et "étrangères" à la réalité locale risquent toujours d'être reçues comme soumission (technique ou culturelle), ce qui engendre un comportement défensif de la part des locaux et donc contraire à l'appropriation. "Il faut prendre des gens comme ils sont".


La transparence et les intermédiaires, enjeux de pouvoir

Si les TIC sont accessibles à tous de façon transparente (c'est-à-dire, l'usager l'utilise sans se demander ni savoir comment elles fonctionnent), et comme il y a toujours le risque de panne, une dépendance chronique des utilisateurs vis-à-vis des experts s'installe. Si au contraire les TIC sont de plus en plus maitrisées par les utilisateurs, minimisant cette dépendance, le pouvoir technique des ingénieurs et des experts en informatique est mis en question. Il y a donc des enjeux de pouvoir à prendre en compte dans la stratégie et/ou l'évolution de l'appropriation des TIC.
Ceci dit, dans une bonne partie des cas envisagés et au moins à court et moyen terme, les agriculteurs eux-mêmes n'auront pas accès direct aux TIC – des intermédiaires probablement assureront le dernier maillon dans les échanges d'information. Ainsi, Puech parle de la création "d'élites intermédiaires", qui s'approprieraient les TIC et serviraient d'intermédiaire pour faire les agriculteurs bénéficier des informations échangées grâce aux TIC. D'un côté, cela réduit le nombre de personnes qui devraient être "converties" au monde des TIC pour assurer une utilisation pertinente de ces technologies. De l'autre côté, cela pose la question de la relation entre cette nouvelle élite et les agriculteurs, avec de nouveaux enjeux de pouvoir à prendre en compte.
Dans cette analyse de la transparence et des intermédiaires Puech attire l'attention au fait que nous occidentaux sommes souvent obsédés du cognitif, et qu'on aurait tendance à valoriser et/ou à promouvoir une appropriation profonde des TIC par tous les utilisateurs potentiels. Puech dit qu'il faudrait remettre en question cette obsession du cognitif, et se demander de façon pragmatique quel est l'intérêt dans le cas des agriculteurs ouest-africains: la compréhension complète du fonctionnement des TIC, ou leur utilisation pratique pour l'obtention de résultats concrets? Cela rejoint la préoccupation de répondre à des besoins des agriculteurs en information et en communication et non pas de penser l'utilisation des TIC comme une fin en soi.


Influence culturelle, une question éthique

Partant de l'évidence que, pour notre culture et vision actuelle du monde, l'utilisation des TIC peut être bénéfique à la dynamisation des échanges d'informations entre les membres d'un groupe, on considère légitime ainsi la considérer également pour des agriculteurs en Afrique de l'Ouest. L'action de promotion de l'utilisation des TIC demanderait ce que Puech nomme une "optimisation culturelle" des agriculteurs ou des intermédiaires. Tout de suite une question fondamentalement éthique se pose: avons-nous le droit de modifier la culture de l'autre? Une autre question de même genre mais plus spécifique: promouvoir l'utilisation des TIC par une parcelle de la population qui jouerait le rôle d'intermédiaires par rapport à la majorité des agriculteurs n'est pas créer ou promouvoir des inégalités?
Selon Puech, il faut d'abord assumer le fait que notre système de valeurs est "destructeur" des autres cultures. Selon lui la seule possibilité qu'une culture reste inchangée par rapport à la nôtre est de ne pas entrer en contact avec cette dernière. Les facilités et les conforts développés dans notre culture auraient un pouvoir irrésistible d'attraction. Il exemplifie cela disant qu'il est "impossible" de continuer à faire de l'arc et de la flèche après connaître le fusil. Il faut donc prendre conscience de cette influence qu'on aura dans les autres cultures lors qu'on essaie d'aider une société quelconque dans son processus de développement.
Ensuite, Puech dit que notre éthique nous donne une certaine liberté d'action et d'influence dépendant de notre objectif dans l'action: si l'objectif était de vendre des TIC aux paysans, la démarche de promouvoir l'utilisation des TIC ne serait pas en accord avec notre éthique; mais si l'objectif est d'aider les agriculteurs à augmenter leur sécurité alimentaire, d'améliorer leurs conditions de vie, en bref, dans leur propre intérêt, on peut se permettre d'influencer leur culture, même si cette influence engendre la dégradation de quelques aspects de leur culture originale.
Finalement Puech parle de "transaction évolutive" pour caractériser le contact entre cultures. Il aura toujours des gains et des pertes liés à l'influence d'une culture sur une autre. Cela caractérise une transaction dans le sens qu'il doit exister une négociation et une prise de conscience par rapport à l'influence. Un point fondamental est qu'il faut considérer, au-delà de l'aspect matériel, l'aspect symbolique des gains et surtout des pertes liées à cette transaction.

8 oct. 2008

Réunion point d'avancement à FARM 07oct08

Avec : Thiendou Niang, membre du conseil scientifique de FARM; Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse; Bernard Bachelier, tuteur professionnel pour la thèse; Cécilia Bellora, responsable politiques agricoles à FARM; Mathilde Douillet, responsable projet vivrier à FARM; Bruno Martin, webmaster à FARM. Excusés: Claude Meyer, directeur de la thèse; Michel Petit, président du conseil scientifique de FARM, Alain Retière, membre du conseil scientifique de FARM; Billy Troy, responsable eau à FARM; Denis Herbel, responsable coton à FARM.
Quand : le 07 octobre 2008, de 15h à 17h
Où : FARM, Paris
Objet : point d’avancement de la thèse, discussion sur l'orientation

Cette réunion a été une occasion privilégiée de recevoir des critiques constructives sur le travail réalisé jusqu'à présent dans la thèse et sur son orientation future. Je tiendrais à remercier la participation de tous. La discussion m'a amené à constater des vices et des hypothèses cachées dans le raisonnement développé originalement. Voici de façon résumé les commentaires et suggestions:

  • se détacher de la vision d'ingénieur et faire attention au vocabulaire utilisé. Par exemple, éviter l'allusion à des termes comme "configuration" (dans la question de départ) et même "système d'information", qui connote une vision techniciste.
  • réfléchir sur l'expression "appropriation des TIC", il y a le risque qu'on l'interprète comme si on insistait sur une intention de faire les agriculteurs adhérer à tout prix aux TIC.
  • centrer la recherche sur l'agriculteur (leur contexte, leurs besoins, leur relation avec les informations, …), mettant les TIC en deuxième plan. Apparemment j'étais en train de me concentrer trop sur le moyen d'accès aux TIC et pas suffisamment sur l'agriculteur.
  • se libérer de l'hypothèse du rôle central des OP dans la circulation de l'information, surtout sur les aspects culturels. J'étais trop attaché à la mission de juin dernier et aux expériences visitées. Il faut regarder ailleurs, répertorier les projets d'application des TIC pour l'agriculture qui sont mis en œuvre par les plus diverses institutions (ONG, associations, OP). Les OP ne sont pas représentatives des aspects culturels liés à l'échange d'informations entre les agriculteurs. Les OP doivent être vues plutôt comme une "porte d'entrée".
  • établir des typologies, des caractérisations, à la fois (1) des agriculteurs en question, (2) de la nature des informations échangées [*], (3) des voies d'accès à l'information, (4) des approches méthodologiques déjà proposées dans la littérature scientifique et dans des rapports de projets pratiques.
  • prioriser les aspects culturels suivants dans l'analyse: relation entre information et pouvoir; utilisation des TIC et changement de valeurs; questions intergénérationnelles; questions liées au genre.
__________
[*] il est envisageable d'organiser un comité restreint de réflexion sur les contenus des échanges, sur les besoins en information des agriculteurs. Il serait important d'appréhender les questions traditionnelles des agriculteurs (en termes des préoccupations courantes liées au calendrier des cultures, par exemple). Cecilia et Mathilde sont disposées à m'aider dans l'approche de ces questions. Monsieur Blanchard est également intéressé à participer à ce comité restreint.

2 oct. 2008

Réunion avec CM

Avec : Claude Meyer, directeur de thèse
Quand : le 02 octobre 2008, de 11h à 12h
Où : Gare d'Austerlitz
Objet : point sur l'avancement académique de la thèse

Je commence à comprendre qu'est-ce que c'est être un thésard. Au lieu de vouloir être guidé par le directeur de thèse, il vaut mieux arriver de temps en temps avec des propositions (par des emails ou des textes plus structurés) et recueillir des critiques, des suggestions. Dans ce rencontre j'ai discuté avec Monsieur Meyer sur cet état d'esprit pour le travail de la thèse, sur les grandes étapes à suivre dans ce travail et sur des questions de la bibliographie. Résumant quelques suggestions:

  • Titre: "appropriation des TIC dans le contexte professionnel" au lieu de "utilisation professionnelle des TIC".
  • Question de départ: "pourquoi" au lieu de "comment", et "usage pertinent" au lieu de "efficacité".
  • Aspects culturels: les divers aspects culturels cités [1] constituent des thèmes en soi, il va falloir choisir sur quels aspects focaliser la recherche.
  • Bibliographie: ne pas chercher des livres pour l'instant, concentrer les efforts plutôt dans l'identification des laboratoires et des chercheurs qui travaillent avec des questions semblables (à partir des aspects culturels cités [1]). Une fois les chercheurs identifiés, chercher leurs publications et aussi des contacts directs. Voir aussi du côté des universités africaines (Dakar, Yaoundé, etc.), et des ONG dans lequel des chercheurs publient sur ces questions. Meyer est prêt à me répondre brièvement des messages hebdomadaires sur la lecture de publications: concrètement, je lui dis ce qui j'ai lu dans la semaine et il me dit si je suis dans la bonne direction.
  • Cadrage de la problématique: je dois rendre un document de 20 à 30 pages pour le 15 novembre prochain avec le cadrage des questions qui seront traités dans la thèse, à partir de la bibliographie (présenter l'état de connaissances actuel), problématisant les questions et proposant des possibles solutions. Attention pour les termes utilisés: dans des travails comme cela, on "suggère", on ne "montre" pas une solution. Ce document doit se baser complètement sur les lectures des publications, et non pas sur les impressions tirées de la mission de juin.
  • Parler avec les anciens doctorants de Monsieur Meyer: avoir divers points de vue sur le vécu de l'expérience de la thèse, l'organisation du travail, etc.
  • Lectures de base: sur l'épistémologie monsieur Meyer suggère Karl Popper (différence entre religion et science, la religion basé sur des dogmes, qui ne sont pas mis en question, et la science basé sur des théories, qui doivent toujours être mises en question constamment) et Gaston Bachelard (science comme succession d'erreurs). Meyer suggère encore la lecture du Discours de la méthode, de Descartes.
  • Recherche à partir du terrain: je fais effectivement une thèse à partir d'un questionnement lié au terrain. Nous sommes dans l'approche empirico-inductive, et donc on ne se base pas sur une théorie spécifique. Il est possible qu'on fasse allusion à une théorie, mais elle n'est pas le point de départ. Des hypothèses seront énoncés et testés sur le terrain, mais non pas nécessairement en relation avec une théorie spécifique. Voici quelques étapes qui ne doivent pas être considérées comme absolument indépendantes, séparées: 1) observation de problèmes du terrain, 2) répertoire de ce qui a déjà été fait dans le domaine de questionnement (biblio: chercheurs, publications), 3) cadrage de la problématique, 4) méthodologie pour travail de terrain, 5) mission sur le terrain, 6) rédaction.
L'axe de la thèse est donc la mise en cohérence de l'échange d'informations et de la construction de la connaissance professionnelle des agriculteurs ouest-africains.

Observation: Meyer ne vient pas à la réunion du 07 octobre 2008.
__________

[1] Quelques aspects culturels qui nous semblent pertinents:
  • la disposition à l'échange (demande exprimée), l'importance de l'oralité
  • l'attachement des nouvelles générations au monde rural et (potentiel influence)
  • partage du pouvoir au sein des OP (registre information-pouvoir)
  • le lien communautaire (la "solidarité contrainte")
  • l'influence de la technologie dans le changement des valeurs
  • la résistance à l'innovation technologique et méthodologique
  • manque de formalité, de précision et de rigueur des employées dans le contexte agricole
  • le pragmatisme

27 sept. 2008

Livre – Philippe Breton – L'utopie de la communication

Auteur : Philippe Breton
Titre : L'utopie de la communication
Maison d’édition : La Découverte
Année : 1997
169 pages
Mots clés: communication, information, connaissance, médias, individualisme

Philippe Breton fait dans ce livre une forte critique à l'utopie de la communication, un "courant de pensée qui, à partir des années quarante, fait de la communication l'axe central de réorganisation des sociétés" (p. 9). La première partie du livre est dédiée à la caractérisation de la communication comme "valeur", la deuxième à l'ancrage de la naissance de cette utopie au contexte historique de la première moitié du XXème siècle. La troisième et dernière partie regroupe les critiques proprement dites. Laissons claire dès maintenant qu'il ne s'agit pas de critiques à la communication en soi – tant que moyen d'expression des hommes, Philippe Breton la reconnaît comme fondamentale pour le développement et l'exercice de la démocratie – mais plutôt des critiques à l'excès de sa valorisation; il nous dit en conclusion: "le paradoxe qui est décrit dans ce livre est que trop de communication conduisait finalement à une remise en question de la démocratie elle-même" (p. 169). Dans ce petit article mon objectif n'est pas de faire un résumé de l'ouvrage, mais plutôt de souligner des passages qui m'ont fait réfléchir sur la notion de communication, sur l'ampleur de son influence sur la société et, finalement, sur quelques effets de l'excès cité par Philippe Breton.

Un contexte historique particulièrement favorable pour la naissance d'une nouvelle utopie

La dégradation de la valeur de la vie humaine se concrétise pendant toute la première moitié du XXème siècle lors du grand conflit qui regroupe la 1ère et la 2ème guerres mondiales. L'exécution des juifs dans des champs de concentration nazis et le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki sont des faits expressifs de cette barbarie moderne. La société d'après guerre est traumatisée et perdue[1], non pas simplement par le vécu du conflit mais par les horreurs rendus publiques à son terme. Le contexte est donc favorable[2] à l'émergence d'une nouvelle utopie. En particulier, on comprend mieux le rôle central attribué à la transparence dans cette nouvelle utopie quand on analyse l'importance du secret dans la mise en œuvre de la barbarie moderne[3]. "Face à la crise générale des valeurs, la communication va apparaître à la fois comme une nouvelle valeur, mais une valeur vide, non moraliste, puisqu'elle n'intervient pas sur le contenu des rapports entre les hommes" (p. 94).

Norbert Wiener: l'homme purement social et la communication comme arme contre l'entropie

Philippe Breton attire l'attention à la pensée du mathématicien américain Norbert Wiener, père de la cybernétique, que dans les années 1950 propose une nouvelle vision du réel: "le réel peut tout entier s'interpréter en termes d'information et de communication" (p 25), le mouvement d'échange d'informations est considéré comme "constitutif intégralement des phénomènes, aussi bien naturels qu'artificiels" (p 26). Dans cette vision, il n'y a pas de place pour l'intérieur des êtres, tout est à l'extérieur, et tout s'explique par les relations extérieures entre les êtres et les phénomènes. Wiener a proposé donc une représentation alternative de l'homme: détachée de la biologie (et donc supposée contraire à toute possibilité de développement du racisme[4]) et vidée de toute valeur intérieure: "(…) l'homme [comme] un être purement social, pilotant son destin rationnellement en fonction des contraintes externes plutôt que 'dirigé par l'intérieur' par des valeurs." (p. 98).

Partant d'un discours purement scientifique et extrapolant l'analogie avec la 2ème loi de la thermodynamique (de l'entropie), Wiener croyait que l'univers est un système clos, destiné à la destruction finale (quand l'entropie générale sera à son niveau maximale, en d'autres termes, quand la plus grande homogénéité possible sera atteinte). La portée sociale de cette vision se concrétise par la responsabilité de l'homme, vis-à-vis et de la société et de la nature, de faire "reculer localement l'entropie" (p 34), de lutter contre le "diable" du désordre avec, selon Wiener, son opposé: l'information.

Parenthèse sur la société de la communication

"Les hommes ont toujours échangé entre eux (…) Ils ont probablement toujours utilisé des 'techniques de communication', qu'elles soient matérielles ou intellectuelles. Dans ce sens, les sociétés humaines ont toutes et toujours été des 'sociétés de communication', et cette activité se présente comme une donnée anthropologique permanente. L'une des différences entre le passé et le présent est sans doute, depuis l'impulsion donnée par l'invention de l'écriture, puis de la rhétorique, le fort mouvement d'innovation dans ce domaine. L'autre différence est, bien sûr, la valeur sociale qu'on accorde aujourd'hui à ces techniques. (…) La communication fonctionne aujourd'hui de plus en plus systématiquement dans le discours social comme un recours universel, sinon comme le seul recours. Chaque problème trouverait ainsi une approche 'rationnelle' grâce à la 'communication' qui apporterait à la fois la 'transparence' dans l'analyse et le 'consensus' dans la solution." (p. 124-5)

Les effets pervers de l'utopie de la communication

Philippe Breton considère cette utopie de la communication irréalisable, mais non pour autant inoffensive. Voici de façon résumé de points intéressants de sa critique aux excès de valorisation de la communication.

La confusion entre information et connaissance: "L'un des troubles provoqués par les médias aujourd'hui est le fait que l'homme moderne croit avoir accès à la signification des événements simplement parce qu'il est informé sur eux" (p. 141). Breton parle de l'importance de l'"expérience vécue", que l'information "aussi bien faite soit-elle, ne peut pas restituer ou remplacer" (p. 141). Et comme "l'ignorance n'a pas de meilleur allié que l'illusion du savoir" (p. 141), les médias seraient en train de favoriser l'ignorance à propos du monde et non pas sa connaissance. Cette confusion entre accès à l'information et le développement d'une connaissance est présente aussi dans l'utilisation des multimédias pour l'éducation. Selon Breton, "le processus éducatif n'est pas d'abord une affaire d'accès au savoir, mais bien plutôt une manière de poser la question, fondamentale, du désir de savoir. Améliorer l'accès ne changera pas une virgule à la situation du désir de savoir qui doit animer l'élève" (p. 145). Et il dit même que cela pourrait engendrer un grand problème: "d'augmenter le faussé entre ceux qui sont dotés par la nature ou par l'environnement familial d'un tel désir, et ceux qui auront besoin d'un système éducatif attentionné pour le faire naître et l'entretenir" (p. 146). Breton parle également de "l’idolâtrie de l'outil" comme déviation de son utilité.

L'incontournabilité des médias: Breton dit que les médias "prétendent au monopole de la circulation de l'information entre les hommes" (p. 150), et que cela signifierait un danger pour la démocratie, car cette dernière "implique une maîtrise des moyens d'expression par ceux-là mêmes qui s'expriment" (p. 150). "Le message principal que les médias véhiculent aujourd'hui est l'importance de la communication comme valeur centrale autour de laquelle la société est censée s'organiser." (p. 152) Les médias exerceraient ainsi une contrainte invisible sur la société, caractéristique propres aux idéologies. Mais Breton rappelle que "l'impact des médias est relatif à la nature du lien social dans lesquels ils interviennent." (p. 152). A ce propos il conclut: "les médias, aujourd'hui incontournables, ne sont peut-être finalement, sous leur forme actuelle, qu'un aspect transitoire de l'activité humaine, directement lié à l'état singulièrement dépressif du lien social" (p. 152).

L'illusion du pouvoir libérateur de la communication: l'illusion ici est basée sur l'idée que "le seul fait de communiquer serait suffisant pour vivre harmonieusement en société" (p. 157). Or, Breton dit que "la communication ne peut jamais apporter un plus, une véritable nouveauté: son rôle se limite le plus souvent à réduire un désordre, à rétablir une situation. La communication est bien, sous quelque angle qu'on la prenne, une valeur réactionnelle" (p. 158).

Le risque d'un nouvel individualisme: d'un côté, la société de la communication rend publique, de façon de plus en plus trivial, des aspects de la vie individuelle avant considérés comme privés, ce qui entrainerait un renfermement des individus autour d'eux-mêmes. Selon Breton cela a une relation avec les modifications structurelles des familles: "Là où la famille élargie constituait un rempart contre une ingérence trop forte de la société globale et un lieu de développement d'une vie privée partagée, l'individu doit réinventer un espace de protection de ce qu'il est sans doute en droit de considérer comme strictement personnel. Cet espace, aujourd'hui, semble être fortement individualisé" (p. 155). De l'autre côté, la configuration d'une société "fortement communicante mais faiblement rencontrante", où l'individu est "à la fois phobique à la présence physique d'autrui, mais en même temps étroitement dépendant de sa présence virtuelle" (p. 161). Breton cite le commentaire de la psychologue Sherry Turkle à propos de la relation de quelques uns de ses patients et l'ordinateur, ce dernier "offre une compagnie dénuée du caractère menaçant de l'intimité avec autrui"[5]. Breton conclu que: "Ce néo-individualisme se vit comme extraordinairement communicant, mais c'est au prix de vider la communication de sa substance: la rencontre avec l'autre, la rencontre avec un univers qu'on a pas forcement choisi, la confrontation avec ce que l'on pourrait appeler, au sens fort, une surprise" (p. 161).

La montée de la xénophobie: l'individualisation du contenu et des services de communication engendrerait un recentrage de l'individu sur ses propres intérêts et serait propice au développement de la xénophobie: "cette mise à distance de l'autre et ce repli dans 'mon monde' portent en germe une forme nouvelle de xénophobie" (p. 163).

Le "déni systématique du conflit" (p. 164): l’extrémisme des actes de communication qui poursuivent un idéal d’harmonie absolue s’opposerait à toute forme de conflit. En pratique cela engendrerait la minimisation de la possibilité de critique : "La recherche de l’harmonie et du consensus, l’obsession de la positivité présuppose l’élimination systématique de toute forme d’expression critique" (p. 165).

La critique de Breton sur le monopole des médias sur la circulation de l'information serait peut-être à relativiser face au développement des outils de production collaborative de contenu (parfois appelés outils "web 2.0"). Néanmoins, force est de constater que l'utilisation de ces mêmes outils pourraient être vue comme une expression encore plus d'actualité du nouvel individualisme cité par Philippe Breton.

Pour finir une citation de l'introduction de l'ouvrage en question:
"Quelqu'un, un jour, me raconta l'histoire des deux amis qui se rencontrent. L'un demande à l'autre: 'ça va?', et l'autre, après l'avoir regardé, répond: 'Oh toi, ça va; et moi?' Voilà un bon résumé des effets pervers que génère la nouvelle utopie dans notre société: un homme sans intérieur, réduit à son image." (p. 12)
__________

[1] Philippe Breton nous dit que "la perte de points de repère, mais surtout l'idée selon laquelle les points de repères ne sont pas nécessaires pour l'action, témoigne d'une certaine façon de l'état de délabrement dans lequel se trouvent les sociétés d'après-guerre." (p. 93)

[2] Breton nous dit que "c'est parce qu'elle intervient dans une situation de vide à la fois sur le plan des valeurs et sur celui des systèmes de représentation politique, que l'utopie de la communication a connu progressivement un tel succès" (p. 93).

[3] Différemment des autres moments historiques semblables, "la barbarie contemporaine s'exerce au sein d'îlots bien délimités, cernés par un milieu resté dans l'ensemble civilisé et organisé. (…) On ne comprendra pas l'attrait que le thème de la transparence aura par la suite, si l'on ne se rappelle pas au préalable l'importance de cette connivence qui s'établi entre le secret et la barbarie moderne." (p. 77). Le génocide des juifs dans les champs de concentration, par exemple, a été tenu secret aux juifs (probablement pour faciliter le contrôle des autres prisonniers et même la capture des juifs vers les champs de concentration), aux Alliés, et également à la majorité de la population allemande, et même ceux qui connaissait la vérité la gardait comme un secret (peut-être craignant la réaction des propres partisans du système nazi face à l'extrême dégradation morale à laquelle le racisme les avait conduit).

[4] "Cet homme nouveau ne peut plus – à condition qu'il évolue dans une société de communication – être l'objet d'un quelconque racisme, puisque la race fait appel à la biologie et que la biologie n'a plus rien à faire avec ce nouvel homme-là." (p. 98)

[5] Sherry Turkle, dans le rapport: The National Information Infrastructure: Agenda for Action, repris dans le discours de présentation du vice-président Al Gore le 11 janvier 1994 devant l'Académie des arts et des sciences de la télévision de Los Angeles

19 sept. 2008

Article – Jacques Perriault – Imaginaire et intelligence territoriale

Auteur : Jacques Perriault
Titre : Evaluation des politiques d’intelligence territoriale : la contribution de quatre opérations pionnières dans le secteur de l’industrie de la connaissance.
Intervention dans le colloque "L'évaluation des politiques publiques en Europe : Cultures et futurs", session A : Evaluation des politiques de recherche, innovation et compétitivité, au Parlement Européen - Strasbourg, 3 et 4 juillet 2008
Année : 2008
Mots clés : intelligence territoriale, développement local, cognition, représentation symbolique, bien commun, opinion publique

Dans cet article, Jacques Perriault développe six notions liées à la dimension sociocognitive de l'intelligence territoriale: l'industrie de la connaissance, l'investissement sociocognitif, l'investissement symbolique, le bien commun, le couplage entre économie et culture, et l'opinion publique. Il illustre ces notions par des exemples de projets concrets dans la décennie 1990-2000. Je ne fais ici que souligner quelques passages indiquant l'importance de ces notions dans le déploiement de projets de développement local avec d'approches remontantes, et en particulier avec l'utilisation de technologies numériques. Je vous invite à lire l'article (qui fait seulement 6 pages), il est disponible ici.

Voici donc quelques points intéressants:

Citant la différence historique des approches français et anglo-saxon sur la relation entre le monde intellectuel et la technique, Perriault montre comment le terme "industrie de la connaissance" a influencé positivement l'évolution des activités du Centre National d'Enseignement à Distance. Le message ici est: "le choix des mots joue un rôle important dans l'intelligence territoriale, comme facteur de compréhension du projet et d'adhésion de la population." (p. 2)

La dimension sociocognitive est fondamentale dans un projet de développement car elle concerne la question des mentalités des acteurs, et donc de leur adhésion conscient au projet. Appliquant des concepts de Jean Piaget au développement local, le territoire peut être défini comme une entité susceptible d'apprendre, c'est-à-dire, "d'enclencher un processus d'apprentissage dont les habitants sont les acteurs" (p. 3). Citant l'exemple de projets de redémarrage économique de quelques vallées de Suisse italienne, Perriault nous dit que "les équipes sur le terrain chargés de la réflexion sur le développement sont constituées principalement par des habitants" (p. 3). L'objectif est de faire réfléchir la population sur une longue durée, "de façon à qu'elle arrive à considérer autrement l'espace dans lequel elle vit" (p. 3), lui attribuant un autre sens.

L'investissement symbolique, de son côté, se justifie car le symbole est un point de repère pour la construction et le maintien du sens d'un projet de développement donnée. "Le symbole joue un rôle déterminant dans le développement local, car il stabilise de façon durable le repérage du sens qui lui est donné dans un territoire, à une époque et dans un contexte" (p 3).

"(…) en matière de développement local, l'investissement se réparti en investissement économique, en investissement sociocognitif et en investissement symbolique. Contrairement au premier, le deuxième et surtout le troisième, le symbolique, ne coûtent pas cher. Il fonctionne comme catalyseur de l'investissement économique." (p. 4)

Sur le bien commun, Perriault dit qu'il "n'est pas défini par une loi ou par une norme; c'est un processus qui va du bas vers le haut, qui suppose le débat et la délibération au regard de ce qui semble juste et bien à la communauté" (p. 4). Dans ce contexte, on met en évidence aussi bien l'expérience individuelle de chacun et le processus d'établissement d'un consensus. Ainsi, Perriault nous dit: "gouverner en fonction du bien commun, c'est mettre en place une structure cognitive susceptible de créer de nouveaux concepts, de nouvelles idées en prenant en compte la plus value des différences individuelles" (p. 4). L'auteur parle encore de l'importance de l'implication de l'élu pour motiver la participation de la population dans la détermination du bien commun. "Le rôle de l'élu apparaît comme irremplaçable: il suscite la confiance de la population dans le succès de son projet, car il le porte, il le soutient auprès des autorités territoriales" (p. 5).

Même si l'opinion publique locale sur un projet est toujours présente en toile de fond, son influence est souvent sous-estimée. Perriault dit qu'elle est difficile à saisir car elle est souvent "latente et diffuse". Pour l'enquêter il faut: "la considération du terrain dans sa globalité, car il est impossible de déterminer a priori quels sont les leaders d'opinion qui vont jouer un rôle actif dans sa construction", et qu'elle conduise l'enquêteur "à comprendre comment fonctionnent les modifications d'opinion" (p. 6).

En conclusion, et à propos de l'appropriation des techniques numériques par la population dans des projets auxquels il a participé, Jacques Perriault dit que le début d'une pratique modifie sensiblement l'état de l'opinion, donc il vaut mieux faire attention à l'opinion publique dès le démarrage du projet. Selon lui, la "pratique de la machine (…) constitue un événement symbolique fort, dont le message est l'accès à la modernité" (p. 6). Sur l'enquête d'évaluation, il dit qu'elle doit considérer tous les "lieux susceptibles de produire de l'opinion" et s'attacher "aux modalités sociocognitives et symboliques qui rendent le changement acceptable" (p. 6).

Voici un ensemble de considérations à prendre en compte tout au long de l'accompagnement du projet de structuration d'un système d'information agricole en Afrique de l'Ouest dans le cadre de notre thèse.

11 sept. 2008

Visite au PRODAM II

Avec : Ibrahima Faye, responsable de planification et de suivi-évaluation du projet PRODAM II (Projet de Développement Agricole de Matam); Samba Ndiaye, consultant Foutanet; Abdnil Ndaye et Aïcha Thiam, animateurs du centre d'information d'Ogo
Quand : le 19 juin 2008
Où : PRODAM II, Matam et Ogo, Sénégal
Objet : les centres d'information supporté par le PRODAM II

Il n’est jamais trop de rappeler que la pérennité d’une initiative de développement dépend essentiellement de la cohérence entre ses objectifs et les besoins exprimés par la population concernée. Une façon d'assurer une réponse adaptée aux besoins locaux est d'intégrer le plus possible les acteurs locaux dans la conception et la mise en œuvre de cette réponse. C'est en respectant cette prémisse que se développent les centres d'information au sein du projet PRODAM II.

Les centres comptent avec une centre de documentation, des ordinateurs, une imprimante, parfois une photocopieuse et de plus en plus avec la connexion à internet. Le fonctionnement de chaque centre est assuré par deux animateurs, un homme et une femme, qui travaillent bénévolement pour permettre à la population locale de profiter des services comme l'accès à des informations pratiques (moyens de transport, prix de semence, etc.), la saisie de documents, des renseignements de santé (en langue locale), etc. Avant la mise en place des centres, les habitants de la région avaient besoin de faire de grands déplacements pour avoir de telles informations, ce qui pouvait le prendre toute une journée. Grâce à l'initiative des acteurs locaux, à l'aide du projet PRODAM II et au dévouement des animateurs, ces centres sont opérationnels et attirent de plus en plus d'utilisateurs.

Monsieur Faye nous rappelle que les acteurs extérieurs à la communauté doivent trouver un subtil équilibre entre engagement et désengagement, le premier pour montrer de l’intérêt, de la motivation; le deuxième pour faire preuve de respect et d'humilité. Face à un objectif sincère de développement local de la part des acteurs extérieurs, l'esprit pratique même suggère ce désengagement: l'appui extérieur ne peut ni doit se perpétuer. En bref, la participation active des acteurs locaux favorise leur appropriation des techniques et des méthodes, l'appropriation amène à l'autonomie par rapport à des acteurs extérieurs, et l'autonomie est la clé pour la pérennité du projet de développement local. Voici la recette qui essaient de mettre en place les membres du projet PRODAM II en partenariat avec des acteurs de la communauté, comme les animateurs bénévoles des centres d'information.

10 sept. 2008

Résumé de la thèse / PhD abstract

en Français (see below for English)

L'utilisation professionnelle des TIC par des agriculteurs de l'Afrique de l'Ouest, une approche culturelle

Depuis le début de 2008 une thèse de doctorat est en préparation au sein de la fondation FARM sur les aspects culturels qui influencent l'utilisation professionnelle des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs d'Afrique de l'Ouest. L'objectif principal de ce travail est d'analyser les conditions de mise en œuvre d'un système d'échange de connaissances entre des agriculteurs ouest-africains. La démarche communicative qui nous intéresse appelle à une participation active des agriculteurs et de leurs organisations professionnelles, pas seulement comme utilisateurs finaux, mais comme sources et relais des informations échangées. Le support technologique envisagé doit tenir compte des limites structurelles et financières de la réalité rurale ouest-africaine, sans pour autant ignorer la tendance de généralisation de l’accès aux technologies les plus avancées. Même faisant référence au support technologique, l'approche choisie privilégie l'analyse de l'influence d'aspects culturels sur l'efficacité de l'échange de connaissances. La question de départ de la problématique est la suivante: comment intégrer des aspects culturels, sociaux et cognitifs dans la configuration d'un système d'échange d'informations et de connaissances professionnelles agricoles en Afrique de l'Ouest, dans l'objectif de maximiser son efficacité? La thèse étudiera cette question pour un système d’information particulier, qui reste à déterminer. Il est envisagé, ensuite, d'appliquer un protocole de décentration pour vérifier si les conclusions sont généralisables, et selon quelle méthode, à d'autres pays en développement. Les résultats attendus sont un ensemble de suggestions pratiques pour l'adéquate prise en compte des aspects culturels dans la configuration de systèmes d'échange d'informations et de connaissances agricoles en Afrique.

Une mission a été réalisée en juin 2008 pour faciliter l’appréhension du contexte des systèmes d’information agricole en Afrique de l’Ouest. Cette mission a permis à la fois de confirmer l'intérêt pratique du questionnement de base de la thèse – l'échange de connaissances est un besoin exprimé par des agriculteurs et des organisations professionnelles –, et de constater une maturité insuffisante des systèmes d'information agricole existants pour permettre une analyse d'impact de la prise en compte des aspects socioculturels dans leur configuration. Les circonstances semblent suggérer plutôt l'accompagnement de la mise en œuvre d'un projet de structuration d'un système d'information agricole. La suite du travail de la thèse au sein de FARM consistera, d'un côté, à nourrir une discussion avec des partenaires du domaine du développement agricole, à partir des enseignements de la mission de juin, pour identifier l'initiative à être concrètement accompagnée sur le terrain. De l'autre côté, nous continuons la recherche bibliographique pour enrichir la problématique de la thèse.

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in English

The professional use of ICT by farmers in West Africa, a cultural approach

Since the beginning of 2008 a PhD is been prepared within FARM foundation about the cultural aspects which influence the professional use of information and communication technologies (ICT) by farmers in West Africa. The main objective of this work is to analyze the implementation conditions of a knowledge exchange system among farmers in West Africa. The communicative practice that interests us is based on an active participation of farmers and of their professional organizations, not only as end users, but also as sources and relays of the information exchanged. The technological platform envisaged must take into account the structural and financial constraints of West Africa rural reality, without ignoring the trend of growing access to the most advanced technologies. The chosen approach for the PhD gives priority to the analysis of the cultural aspects influencing knowledge exchange efficiency. The research problem may be stated as follows: how to integrate cultural, social and cognitive aspects into the configuration of an agricultural knowledge and information exchange system in West Africa, in order to maximize its efficiency? A specific information system, still to be identified, will be the core example for the PhD. At the end, the conclusions put forward will be analyzed to determine to what extent, and following which methods, would they be applicable to other developing countries. The expected results are practical suggestions on how to take into account cultural aspects in the configuration of agricultural knowledge and information exchange systems in Africa.

In order to facilitate the apprehension of the agricultural information systems' context in West Africa, a search mission took place in June 2008. It confirmed that the theme of the PhD is worthwhile – knowledge exchange is an expressed demand of farmers and professional organizations. In the order hand, this search mission showed us that the agricultural information systems in place are not enough developed to allow the analysis of cultural influence in their configuration. Circumstances seem to suggest that, instead of trying to do such analysis for an established system, it would be necessary to study the cultural influence during the implementation of such a system. Based on the lessons learned in the mission of June, the next step in our research will be to discuss with partners of the agricultural development domain in order to identify the project which should be followed on the ground. Additionally, a bibliographical research is been done to enrich the understanding of the research academic context.

4 sept. 2008

Rdv skype avec Amadou Diop

Avec : Amadou Diop, responsable de la communication à l'ASPRODEB*
Quand : le 3 septembre 2008, de 10h30 à 11h30
Où : par skype (moi à Paris, lui à Dakar)
Objet : utilisation de la radio rurale dans le réseau ASPRODEB et une habitude difficile à contourner des relais en communication

Le planning de communication du projet PSAOP* inclue la radio rurale comme moyen stratégique de diffusion d'informations aux agriculteurs sénégalais. Dans la composante OP, les relais en communication ont été orientés à chercher des radios locales à partir desquelles des émissions destinées aux agriculteurs pourraient être diffusées. L'idée initiale était de donner préférence aux radios locales, mais une bonne partie d'elles a un rayon de diffusion très limité (entre 15 km et 60 km) pour couvrir toute la région d'un CRCR donné. Les relais en communication proposent des stratégies diverses: il y a ceux qui passent des contrats avec une radio régionale, qui ont un rayon de diffusion suffisant pour couvrir toute la région en question, d'autres qui proposent des émissions synchronisées dans plusieurs radios locales. Les propositions sont assez bien avancées dans huit des CRCR. Néanmoins, l'utilisation prévue reste exclusivement dans le sens de la diffusion d'informations, et on connaît les problèmes de moyens auxquels doivent faire face les radios rurales existantes: Amadou donne l'exemple d'une radio fondé en 2001 et que par manque de moyen ne fonctionne aujourd'hui que pendant six heures par jour, et cela grâce au bénévolat des responsables.

Jusqu'à maintenant les différents composantes du PSAOP ont eu des fonctionnements très indépendants une des autres. Amadou veut proposer une harmonisation entre les cinq composantes du projet, pour établir une stratégie de communication unique pour le PSAOP. Cela permettra, par exemple, la production d'émissions radio en commun entre composantes. La composante responsable par le conseil agricole, dirigé par l'ANCAR, développe actuellement un système d'information technique agricole (appelé SITAR) qui sera mis à disposition des utilisateurs à travers une plateforme sur internet. Amadou parle de la possibilité d'intégration des émissions radio avec le SITAR, de façon à promouvoir les échanges et la diffusion des conseils agricoles proposés par l'ANCAR.

Amadou a fait un commentaire sur l'environnement de travail à l'ASPRODEB qui me semble particulièrement intéressant pour la thèse. Il a dit que quelques personnes semblent se permettre moins de formalité et moins de précision dans l'exécution de leur fonction en raison de travailler dans un contexte agricole. Selon lui l'évocation du monde rural introduirait plus d'indulgence, plus de l'informel, plus d'un "laisser aller" dans la logique de travail. Amadou ne voit pas en cela un aspect culturel, car, selon lui, si c'était culturel on devrait le trouver au fil du temps et dans tous les contextes. Or, il dit qu'une même personne qui agit de façon relativement informelle dans le contexte agricole, agirait tout différemment dans un contexte d'entreprise urbaine par exemple, adoptant une posture plus rigoureuse face à ses obligations dans ce dernier cas. La liaison suggérée par Amadou entre ce manque de rigueur, de formalité, et le monde rural mérite certainement plus de réflexion. Peut-être qu'une question culturelle sous-jacente au comportement cité par Amadou soit en jeu indépendamment du contexte; peut-être c'est une question de perception affaibli de contrôle des salariés qui travaillent à distance par rapport à leurs superviseurs, comme les relais en communication… à creuser.

* pour plus d'informations voir l'article "Le CNCR, l'ASPRODEB et le PSAOP" dans ce blog.

1 sept. 2008

Entretien avec Mamadou Diarra

Avec : Mamadou Diarra, chargé de projets à l'ONG GRDR (Groupe de recherche et de réalisation pour le développement)
Quand : le 28 août 2008, de 14h30 à 15h
Où : FARM, Paris
Objet : le GRDR et l'échange d'informations agricoles en Afrique de l'Ouest

Mamadou Diarra m'a parlé un peu de l'histoire du GRDR (je vous invite à découvrir un aperçu de cette histoire sur leur site) et des projets soutenus par cet ONG au long du fleuve Sénégal, au Mali, en Mauritanie, et au Sénégal.

Pour l'instant ils ne soutiennent pas un grand nombre de projets dans le domaine de l'utilisation des TIC ou de l'échange d'informations agricoles. Le GRDR est néanmoins membre d'une radio local au Mali et des émissions sont organisées pour informer des agriculteurs sur des prix agricoles.

Dans l'aspect socioculturel, Mamadou avance une préoccupation des agents de développement sur le terrain qui mériterait une analyse plus profonde: la résistance des agriculteurs ouest-africains contre les innovations méthodologique ou technologiques. A part les risques inhérents à l'innovation qui doivent être réduits pour que l'agriculteur pauvre accepte d'innover (voir à ce sujet l'article sur ce blog à propos du livre "Le génie de l'Inde", de Guy Sorman, surtout le passage sur "la résistance de la pauvreté face à l'innovation"), Mamadou nous parle d'une inertie et d'une méfiance qui mettent en question l'efficacité des projets pilotes à caractère démonstratif. Il nous a parlé, par exemple, d'agriculteurs qui, même face à des faits accomplis et à de démonstrations factuelles de l'efficacité d'un technique donnée, restent sceptique et n'acceptent pas d'adopter l'innovation. Mamadou croit qu'une stratégie de communication adéquate envers les agriculteurs pourrait augmenter leur taux d'adhésion aux innovations.

Mamadou s'est montré intéressé par la thèse et disposé à participer à nos réflexions. Nous garderons contact.

Réunion avec JMB et BB

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse, et Bernard Bachelier, tuteur professionnel pour la thèse
Quand : le 27 août 2008, de 14h à 16h
Où : FARM, Paris
Objet : constats et enseignements de la mission de juin 2008

Monsieur Blanchard croit que l'aspect innovant de la thèse est son approche culturelle. Il est d'accord avec l'importance des trois aspects socioculturels constatés lors de la mission de juin, à savoir, (1) la disposition naturelle des agriculteurs africains à l'échange et leur volonté d'échanger d'avantage, (2) l'importance de l'oralité dans leur communication, et (3) l'attachement de la nouvelle génération au monde rural (voir l'article des constats pour des détails).

Monsieur Blanchard ajoute deux aspects culturels qui pourraient être pris en compte dans l'analyse:
  • le lien communautaire ouest-africain comme vecteur de communication: Monsieur Blanchard parle d'une "solidarité contrainte" qui caractériserait les relations entre les personnes dans une même famille ou dans une communauté. Cette solidarité ne serait pas toujours spontanée, mais plutôt une contrainte culturelle basée sur les valeurs de la reconnaissance de la famille et du respect par les plus âgés. Ainsi, par exemple, dans une famille où le père agriculteur reste dans un village et les fils partent faire leurs vies dans des villes, les fils ont l'obligation à la fois de prendre de nouvelles de leur père et de répondre à ses sollicitations. Non rare ce sont les fils qui équipent leur père avec un téléphone portable et qui lui achètent du crédit pour qu'il puisse utiliser le téléphone. Un flux de communication est donc établi entre les villes où sont les fils et le village où est le père.

  • le décalage de valeurs entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe et l'influence de la technologie dans les changements des valeurs: Monsieur Blanchard témoigne des similitudes de quelques valeurs et habitudes présentes dans la campagne ouest-africaine actuellement et celles qu'il a vécu dans son enfance dans la campagne française. Le développement graduel de la technologie et son utilisation dans le milieu agricole européen ont, selon lui, influencé le changement d'habitudes et de valeurs pour forger la société européenne actuelle. En Afrique, l'emploi de la technologique se développe dans une période beaucoup plus courte et il lui semble légitime de se demander comment cela va influencer des changements d'habitudes et de valeurs des agriculteurs africains.

Monsieur Blanchard a encore suggéré le contact avec l'ONG IICD (International Institute for Communication and Development), et avec des sociologues africains avec une bonne connaissance du terrain.

D'autres points abordés en présence de Bernard Bachelier ont été: l'importance de la création locale de contenu pour que l'offre soit véritablement adaptée aux besoins locaux, et la potentialité des modèles d'affaires basés sur des services payants. Sur ce dernier point, Monsieur Blanchard dit que les africains sont très pragmatiques et qu'ils sont près à payer pour une information ou un service qui leur augmentent les chances de gain économique.

29 août 2008

Voyage de juin 2008 - enseignements

Chacun des trois principales entraves au développement des systèmes d'information agricole citées précédemment (dans l'article des constats) donne lieu à un enseignement: l'importance de la structuration et de la transparence des OP, la nécessité de formation des acteurs à l'utilisation des systèmes, et les caractéristiques de base d'une plateforme technologique adaptée (coût réduit, largement propagée et basée sur l'oralité). Les constats concernant des aspects culturels liés à l'échange de connaissances nous permettent, d'un côté, de conclure que le questionnement de la thèse est cohérent avec la préoccupation actuelle des OP de promouvoir des échanges de connaissance et leur efficacité, et de l'autre côté, d'identifier une des conditions socioculturelles pour atteindre cet objectif: la prise en compte de l'oralité. Voici donc ces enseignements commentés.

Il faut que les agriculteurs soient organisés en organisations professionnelles pour pouvoir utiliser efficacement un système d’informations. La priorité de la structuration des organisations paysannes pour le développement rural en général et pour celui des systèmes d'appui en information en particulier a été rappelée par plusieurs de nos interlocuteurs, non pas seulement issus d'OP, mais également d'autres d'institutions indépendantes. Tous sont d'accord pour dire qu'en absence d'une structuration forte et transparente de la profession agricole les agriculteurs ne seront pas en condition de bénéficier d'un système d'information. En ce qui concerne le système d'informations, la structuration de l'organisation professionnelle sert à formaliser les rôles des différents personnes qui constitueront les points-clés du réseau de circulation d'informations. Les degrés de structuration du système et de transparence de son fonctionnement détermineront la facilité de circulation des informations au sein de l'organisation. La structuration des organisations professionnelles reste donc une priorité.

Face au constat du manque de formation des agriculteurs, considéré par bonne partie des acteurs rencontrés comme la deuxième contrainte majeure au développement agricole, toute initiative de développement à travers le déploiement d'un système d'information doit comporter un volet d'accompagnement pour la formation des utilisateurs. Cet accompagnement doit comporter aussi bien de la formation à l'utilisation des outils techniques du système que des indications méthodologiques à propos du traitement et de l'échange d'informations. Si en plus le système est conçu de façon participative et claire pour répondre aux besoins locaux, les utilisateurs seront convaincus de son utilité, et l'appropriation des moyens techniques utilisés sera favorisée. Les utilisateurs potentiels seront motivés pour apprendre et, aidés par des locaux, ils seront plus à l'aise pour surmonter des éventuelles difficultés dans la maitrise opérationnelle du système.

Puisque l'accès à internet et conséquemment la maîtrise de son utilisation sont encore très limités en Afrique de l'Ouest, surtout dans le monde rural, ce moyen de communication ne peut pas actuellement jouer le rôle principal dans la configuration d'un système d'information agricole. Dans le contexte actuel, et visant à assurer des résultats à court et moyen terme, un tel système doit utiliser des technologies dont l'accès soit moins cher et plus généralisé que celui d'internet. En plus de cela, l'appropriation du système sera d'autant plus facile que les technologies utilisées permettent l'exploration de la dimension orale dans la communication. En bref, il faut une technologie à bas coût d'accès et d'utilisation, basée sur l'oralité et qui soit largement propagée dans le monde rural africain; voilà un cahier des charges auquel la radio et, de plus en plus, le téléphone portable semblent pouvoir répondre.

Pour le développement d'un système d'information agricole, l'ordre de priorités suggéré ici – en premier lieu la structuration des OP, ensuite la formation des agriculteurs et seulement en troisième lieu la question de l'infrastructure technologique – attribue délibérément un rôle accessoire à la technologie. La technologie n'est pas une fin en soi. Mais tous les acteurs rencontrés sont convaincus de son importance et de son potentiel pour faciliter les échanges entre les divers acteurs de terrain. La technologie est un catalyseur du développement local, un outil pour rendre ce développement plus facile et plus rapide. En plus, le bon usage de la technologie peut engendrer des résultats positifs du côté de la structuration des OP: "catalysant" la communication interne, la technologie facilite une plus grande participation des producteurs aux activités de l’organisation professionnelle, fortifiant en conséquence sa structure.

En ce qui concerne les aspects culturels mis en avance précédemment, d'un côté nous pouvons vérifier que l'intérêt par l'échange de connaissances dans le monde rural est déjà exprimé par les agriculteurs ouest-africains. La motivation de la thèse[1] n'est donc pas fondée sur une simple hypothèse, elle s'avère en cohérence avec une réalité du terrain. L'expression spontanée du besoin d'échanger davantage des informations et des connaissances entre les agriculteurs témoigne de la maturité du sujet et suggère un bon accueil de la part des organisations et des projets opérationnels pour l'analyse proposée dans notre travail de recherche. De l'autre côté, le retour à la campagne des jeunes, qui étaient partis chercher une formation supérieure en ville ou à l'étranger, peut engendrer un nouveau souffle pour le développement rural. Cette nouvelle génération d'acteurs locaux est mieux disposée et préparée à l'utilisation des TIC et peut dynamiser davantage les relations entre les agriculteurs.

Enfin, la prise en compte de l'oralité, tant qu'aspect fondamental de la culture communicationnelle ouest-africaine, est une condition nécessaire au succès des systèmes d'échange d'information et de connaissances entre les agriculteurs. Le degré d'adéquation des systèmes d'information à cette caractéristique socioculturelle détermine la facilité de leur appropriation par la population et donc leur niveau de réussite.
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[1] "La motivation première de ce travail est l'analyse des conditions de mise en œuvre d'un système d'échange de connaissances entre des agriculteurs africains." (dans l'introduction de ce document)

20 août 2008

Article - Alex Mucchielli - Pour des recherches en communication

Auteur : Alex Mucchielli
Titre : Pour des recherches en communication
Dans: la revue Communication et Organisation, numéro 10
Maison d’édition : GREC/O
Année : 1996 (deuxième semestre)
Mots clés : conseil

L'auteur donne quelques conseils aux jeunes chercheurs des sciences de l'information et de la communication. Ceux qui m'ont plus attiré l'attention sont:

  • la nécessité de choisir entre le modèle hypothético-déductif (orienté par des hypothèses dans une théorie de référence) et le modèle empirico-inductif (basé sur la structuration et l'évolution d'une problématique).

"Dans le cas d'une recherche hypothético-déductive, l'analyse préalable, la formulation du contexte et des considérants de la recherche permettent la formulation d'une hypothèse précise dans un cadre théorique explicité. Le recueil de données est alors largement orienté par l'ensemble des considérants, la théorie de référence et l'hypothèse. Dans le cas d'une recherche empirico-inductive, on se trouve dans une autre logique de recherche: dans une logique dite 'de la découverte', dans une démarche de construction progressive d'éléments d'une connaissance." (pp 88-89)


Si j'ai bien compris – et il serait important d'avoir l'avis du directeur de thèse à ce propos –, en SIC[1], lorsqu'on travail avec une problématique on ne devrait pas avancer des hypothèses. Ces dernières étant liées forcement à une théorie, elles devraient être avancées seulement quand la recherche a pour but de valider ou invalider la relation entre une théorie donnée et les phénomènes étudiés.

  • dans le cas d'une recherche empirico-inductive (et donc basé sur une problématique), il faut prendre conscience du point de vue de référence du chercheur pour éviter des présupposés épistémologiques, théoriques ou idéologiques dans la formulation de la problématique. Cette prise de conscience se fait par une analyse critique de la problématique initiale[2] – ce qui doit encore être fait pour notre thèse. Basé sur ce travail initial, le chercheur doit être capable également de proposer une méthodologie spécifique pour son travail, et si possible "innovante par rapport aux habituelles et sempiternelles interviews non directives et analyses de contenus que l'on trouve partout" (p 95). Il faut donc connaître les techniques, en particulier les qualitatives[3], et ses potentialités pour les sélectionner avec pertinence.

  • de toute façon, pour savoir si on va travailler dans le cadre d'une théorie fondamentale, il faudrait connaître les théories de référence en SIC: le systémisme – ou interactionnisme – et le constructivisme, appartenant au paradigme de la complexité.

  • enfin, une phrase à garder en tête: "ce qui intéresse le chercheur en sciences de la communication c'est avant tout le 'comment' et non le 'pourquoi'" (p 88)

On a donc à faire:
  • clarifier le positionnement épistémologique pour la thèse: hypothético-déductif ou empirico-inductif? Je dirais plutôt le deuxième, mais faut-il donc abandonner l'idée d'avancer des hypothèses?
  • examiner de façon critique la problématique pour éviter des présupposés théoriques, épistémologiques ou idéologiques
  • s'introduire aux théories de référence en SIC, comme le systémisme et le constructivisme
  • étudier les divers méthodes (outils et techniques) qualitatives

Voici les conseils proprement dits de l'auteur, ainsi que quelques commentaires:

Clarifier les concepts utilisés: éviter l'utilisation de mots complexes lorsque des concepts classiques existent pour désigner le phénomène en question. Si un concept prête à confusion, préciser l'acception dans laquelle il est utilisé, et l'auteur qui sert de référence.

Clarifier le contexte de la recherche et le présenter synthétiquement au lecteur: dans le travail final, faire une synthèse du déjà connu d'essentiel sur la question et qui touche le problème traité dans la thèse.

Savoir travailler avec des hypothèses (modèle hypothético-déductif de recherche): une hypothèse se pose dans le cadre d'une théorie. On postule que le phénomène étudié est en relation avec la théorie en question; l'hypothèse sera donc le point de départ pour vérifier la validité de cette relation, et orientera fortement la recherche.

Savoir travailler avec des questions et élaborer une problématique (modèle empirico-inductif de recherche): "un questionnement (ou une problématique) prometteur doit s'appuyer sur une bonne pré-connaissance des problèmes concrets du terrain" (p 90). La réflexion préalable engendra une série de questions qui structureront la problématique sous forme d'une question principale. Cette dernière doit être examinée de façon critique[4]. L'analyse de la question originale doit permettre l'identification de préjugés ou positionnements idéologiques qui risqueraient de biaiser la recherche. Ce travail de déconstruction de la problématique a pour but de la rendre structurée et scientifiquement valide.
Mais elle n'est jamais définitive: la problématique évolue au cours de la recherche, selon que des nouveaux phénomènes ou une compréhension nouvelle apparaissent. Ces derniers doivent être intégrés[5] à la problématique.

Dépasser les problématiques linéaires: faire attention pour ne pas tomber dans des pièges simplificateurs basés sur la causalité linéaire. Le piège du "technologisme" postule que la technique est la principale cause de tous les changements à divers niveaux. Le piège du cadrage court ou inapproprié réduit le centre d'intérêt à des acteurs ou des phénomènes qui ne peuvent expliquer que partiellement la question étudiée. Il faut donc éviter le modèle de la causalité linéaire, préférant le modèle systémique, "porteur (…) de la causalité circulaire (rétroaction des causes et des effets dans un système)" (p 107).

Poser les problématiques dans les termes des sciences de l'information et de la communication, et donc, la nécessité d'être à l'aise avec ces termes.

Préciser si l'on travaille avec une problématique ou avec une hypothèse dans une théorie de référence: il faut préciser au lecteur si la recherche se base sur une problématique ou si elle fait référence à une théorie précise, et dans ce dernier cas, il faut expliciter cette théorie.

Afficher clairement la problématique de la recherche: la problématique doit être reflétée directement dans le titre du travail.

Trouver une méthodologie appropriée à sa recherche: basé sur une bonne connaissance des potentialités des diverses méthodes ("mise en œuvre d'une succession d'outils et techniques"), choisir pertinemment une méthode et la justifier explicitement dans le rapport final.

Utiliser de préférence les méthodes qualitatives: l'idée de la recherche en communication est d'expliciter le jeu d'interactions au sein d'un phénomène, et, comme "les phénomènes de communication étudiés ne sont pas en général directement visibles à travers des instruments de mesure" (p 104), il faut utiliser des méthodes plus appropriées que les quantitatives. "(…) une méthode qualitative est une succession d'opérations et de manipulations intellectuelles[6] et techniques[7] qu'un chercheur fait subir à un phénomène pour faire surgir les significations (…) le sens qui n'est jamais un donné immédiat, qui est toujours implicite" (p 105).

Apporter une réponse à la problématique de recherche annoncée: faire évoluer la problématique au cours de la recherche et, à la fin, répondre à la problématique mise à jour.

Trouver le bon cadrage: surtout dans la préoccupation d'éviter une vision simplificatrice, basée sur une logique de causalité linéaire.

Se montrer soucieux des retombées méthodologiques, théoriques, sociétales ou pratiques des découvertes de sa recherche: connecter explicitement les résultats de la recherche à des conséquences dans les domaines théorique, méthodologique et pratique. Les résultats valident ou invalident un principe théorique? Peut-on conclure de l'utilité d'une telle ou telle méthode? Peut-on suggérer des adaptations de techniques dans un contexte donné? Et finalement, l'importance de connecter la recherche à l'application concrète.
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[1] Sciences de l'information et de la communication

[2] voir plus bas le conseil "Savoir travailler avec des questions et élaborer une problématique"

[3] Ici, l'auteur suggère le Dictionnaire des méthodes qualitatives, sous sa direction, dans les éditions Armand Colin, 1996

[4] Y a-t-il, derrière la question, un postulat caché? Si oui, quel est-il? Est-il d'ordre épistémologique ou théorique? Si oui, peut-on s'en détacher et poser une autre question non implicitement orientée par ce postulat? Si non, est-ce que cette question n'est pas la reformulation d'une question classique d'un autre domaine? Qu'est-ce qu'apportera de nouveau la réponse à cette question? Quelle sera l'utilité théorique et sociale de la réponse à cette question? A-t-on des chances de traiter cette question dans une approche relevant des sciences de la communication? Si oui, à quelles conditions?

[5] "Analyse par théorisation ancrée" de Pierre Paillé: un cycle où la problématique oriente la collecte de données, leur codification, catégorisation et mise en relation mettront en évidence des nouveaux phénomènes et connaissances, qui sont intégrés à la problématique, la modifiant.

[6] "des dénominations, des transpositions de termes en d'autres termes, des regroupements intuitifs de données, de confrontation à des savoirs, des inductions généralisantes ou, à l'inverse, des réductions à des constats ou à des formes essentielles…" (p 105)

[7] "des transcriptions, des découpages de discours, des mise en tableau, des confrontations à des grilles, des substitutions systématiques de termes." (p 105)