Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

22 mai 2009

Article – Long, Villareal, 1999 - Savoir et Pouvoir

Auteur : Norman LONG & Magdalena VILLAREAL
Titre : L'enchevêtrement du savoir et du pouvoir dans les interfaces du développement
dans: "La reconnaissance du savoir rural: savoir de populations, recherche agricole et vulgarisation", sous la direction de Ian Scoones et John Thompson
Maison d’édition : Karthala et CTA
Année : 1999
Mots clés : savoir, pouvoir, développement rural


Voici quelques bribes des idées que Long et Villareal développent dans cet article. Une fois qu'ils traitent de la question de la construction du savoir la reliant à des aspects sociaux, parmi lesquels des rapport de pouvoir, cet article me semble particulièrement important pour ma thèse! J'ai essayé d'appuyer mes descriptions des idées avec des citations du texte.

  • le savoir se construit sur du savoir existant, et sa construction dépend de l'expérience socioculturelle des acteurs
"le traitement et l'absorption de nouveaux éléments d'information et de nouveaux cadres discursifs et cognitifs ne sont possibles qu'en se fondant sur des réseaux de savoir et des modes d'évaluation existants, qui sont à leur tour restructurés en passant par le canal de la communication. (...) le savoir repose sur l'accumulation de l'expérience sociale, des engagements et du caractère culturellement déterminé des acteurs concernés." (p.75)

  • des éléments présents dans le processus de construction ("création/diffusion") du savoir (p.75):
  1. "stratégies et faculté des acteurs à se fonder sur des répertoires de savoir existants et à absorber de nouvelles informations";
  2. "processus de validation par lesquels l'information nouvellement introduite et les sources dont elle émane sont jugés acceptables et utiles ou sont réfutées";
  3. "diverses transactions impliquant l'échange de matériel spécifique et d'avantages symboliques".

  • la construction du savoir dépend d'aspects sociaux et notamment des rapports de pouvoir entre les acteurs
"(…) la naissance et l'utilisation du savoir ne relèvent pas simplement de la notion de maîtrise, de l'efficacité technique ou de l'herméneutique (c'est-à-dire de la médiation de la compréhension d'autrui par un interprétation théorique de la nôtre), mais impliquent des éléments de contrôle, d'autorité et de pouvoir enchâssés dans les relations sociales. C'est pourquoi des dissonances notables sont probables entre les différentes catégories d'acteurs impliqués dans la production, la diffusion et l'utilisation du savoir. (…) les clivages sociaux importants ne coïncident pas parfaitement avec la distinction opérée entre les 'producteurs', les 'diffuseurs' et les 'utilisateurs' de savoir (Richards, 1985; Box, 1987; Rhoades et Bebbington, 1988)." (p.75)

  • la base d'interaction entre les acteurs est la discontinuité et non le lien… La signification est transformée et non pas transférée…
"(...) tant que nous conceptualiserons la création/diffusion du savoir en termes de liaison ou de transfert, sans prêter suffisamment d'attention à l'intervention de l'homme et à la transformation du sens au point d'intersection entre les mondes-vies des divers acteurs et sans analyser les interactions sociales en jeu, nous ne saisirons pas les sens même du savoir. C'est pourquoi nous proposons d'adopter comme fil conducteur la discontinuité et la transformation et non le lien et le transfert de la signification." (p.76)

  • il ne faut pas penser la différence de façon dichotomique (les acteurs extérieurs d'un côté et les locaux d'un autre) car le "groupe" des locaux n'est pas homogène. Il serait impossible de créer un système d'échange fructueux sans limiter l'adaptabilité aux changements et la capacité d'innovation des acteurs locaux… (…?...)
"(…) il n'est pas seulement improbable que différentes parties (agriculteurs, vulgarisateurs et chercheurs) partagent les mêmes priorités et paramètres cognitifs; on doit également s'attendre à une différenciation interne des communautés 'épistémiques' (c'est-à-dire celles qui ont en commun des sources et modes de savoir similaires) sur la base de leurs répertoires de savoir et de l'application qu'elles en font. C'est pourquoi la création des conditions favorisant l'émergence d'un système d'acquisition du savoir (impliquant des échanges mutuellement avantageux et des flux d'information entre différents acteurs) semble irréalisable; et pour autant que quelqu'un y parvienne, ce serait aux dépens de l'innovation et de l'adaptabilité au changement, toutes deux étant davantage tributaires de la diversité et de la fluidité du savoir que de l'intégration et de la systématisation." (p.76)

"Les processus d'acquisition du savoir (…) sont tout aussi à même de refléter et de nourrir les conflits existant entre les groupes sociaux que de conduire à l'élaboration de perceptions et d'intérêts communs. Et, pour autant qu'il s'agisse de l'état normal des choses, il devient alors irréaliste d'imaginer pouvoir 'gentiment' orienter les systèmes d'acquisition du savoir vers des modes d'intégration et de coordination meilleurs." (p.84)

  • L'intérêt est d'étudier les interfaces entre les divers mondes-vies et de comprendre l'origine des discontinuités caractéristiques de ces interfaces
"L'étude de ces interfaces s'attache donc essentiellement à analyser les discontinuités de la vie sociale. De telles discontinuités se caractérisent par des divergences en termes de valeurs, d'intérêts de savoir et de pouvoir. Les interfaces se produisent habituellement aux confluents de mondes-vies et de sphères sociales différents et souvent conflictuels." (p.77)

  • Plus que comprendre les différences de pouvoir et les conflits, il faut aussi comprendre la dynamique d'adaptation qui permet aux différents acteurs d'interagir
Les interactions entres les différents acteurs "doivent être analysées en tant que composantes des processus continus de négociation, d'adaptation et de transfert de sens qui s'élaborent entre les acteurs concernés." (p.77)

"L'analyse des interfaces, (...) implique non seulement la compréhension des conflits et des différences de pouvoir qui prévalent entre les parties concernées, mais également une tentative visant à mettre au jour la dynamique d'adaptation culturelle qui permet aux différentes visions du monde d'interagir." (pp.77)

  • il y une différence cognitive certaine entre les agriculteurs, les vulgarisateurs et les chercheurs:
"En prenant l'exemple de la culture de manioc en République Dominicaine, Box (1989) démontre en quoi les mondes-vies des chercheurs, des vulgarisateurs et des agriculteurs sont en partie hermétiques l'un pour l'autre. Il conclut:
'Les réseaux cognitifs sont très segmentés (…) ils séparent les communautés. (…) Les mondes-vies des participants, ou leurs systèmes de valeurs, leurs règles et leurs intérêts, sont si différents qu'ils ne permettent ni communication ni interaction entre les parties.' " (p.80)

  • des fonctionnements des réseaux de connaissances
"Comme l'ont révélé de précédentes études sur les réseaux de communication (notamment Allen et Cohen, 1969; Long, 1972; Long et Roberts, 1984), certains individus ou groupes deviennent souvent les éléments sociométriques incontournables d'un réseau défini de rapports sociaux ainsi que les points de jonction avec des sphères plus vastes. C'est-à-dire qu'ils font office de 'gardiens' ou d''intermédiaires' au service de réseaux et de sphères sociales structurellement plus éloignés." (p.81)

"(...) la diffusion efficace d'idées et d'informations au sein d'un réseau d'individus repose sur l'existence de ce que Granovetter (1983) nomme les 'liens superficiels', 'qui rapprochent les segments divergents des réseaux qui, sans cela, seraient isolés les uns des autres' (Milardo, 1988)." (p.81)

"(…) D'autre part, afin de pouvoir agir sur l'information, il est généralement nécessaire que les individus s'assurent le soutien d'autrui. Ceci suppose un consensus normatif minimum et, dans certains cas, la faculté d'établir des règles et de les faire respecter par les membres (Moore, 1973). Cette capacité présuppose l'existence d'un réseau social relativement dense qui, paradoxalement, pourrait également constituer un obstacle à l'assimilation de nouvelles informations et à l'adaptation rapide au changement de circonstances (Long, 1984)." (p.81)

  • l'agriculteur vu comme un stratège, participant à la maitrise humaine qui se manifeste à travers les relations sociales
"L'agriculteur a alors pour tâche de sélectionner et de coordonner les engagements normatifs et sociaux les plus appropriés en vue d'organiser les processus de production et de reproduction agricoles. Les décisions qu'il prend sont bien entendu fondées sur des préférences en termes de valeur ainsi que sur le savoir, les ressources et les relations disponibles. Dans cette optique, l'agriculteur est perçu comme un stratège actif qui aborde les situations, traite l'information et en rapproche les éléments requis pour faire fonctionner l'exploitation." (p.82)

"La notion d'acteur social est indissociable du concept de maitrise humaine, qui confère à l'acteur (individu ou groupe social) la capacité de tirer parti de l'expérience sociale et de concevoir des moyens pour s'en sortir dans la vie, même sous les conditions coercitives les plus extrêmes. Il importe néanmoins de souligner que la 'maîtrise' n'est pas simplement un attribut propre à l'acteur individuel. Elle se compose de relations sociales et ne peut devenir effective que par leur entremise." (p.82)

  • Le pouvoir et édification sociale du savoir...
Le savoir "naît de processus d'interaction sociale et, (...) est essentiellement le produit d'une rencontre d'horizons. Par conséquent, à l'instar du pouvoir, le savoir doit être envisagé de façon relationnelle et ne doit pas être perçu comme un bien. Le fait qu'un individu détienne du savoir ou du pouvoir ne signifie pas que d'autres n'en possèdent pas. Un modèle neutre s'avère donc inopportun. Néanmoins, tant le savoir que le pouvoir peuvent se trouver réifiés dans la vie sociale: c'est-à-dire qu'ils sont conçus en tant qu'objets matériels réels possédés par des agents et considérés comme 'acquis" incontestés." (p.84)

  • ...l'intérêt est d'étudier quels modèles prévalent et à quelles conditions
"(…) si nous admettons que nous avons affaire à des 'réalités multiples', à des intérêts sociaux et normatifs potentiellement conflictuels ainsi que à des conglomérats de savoir pluriels et fragmentés, il nous faut alors étudier de près quels interprétations ou modèles (à savoir ceux des agronomes, des hommes politiques, des agriculteurs ou de vulgarisateurs) prévalent sur ceux d'autres acteurs et dans quelles conditions. Les processus d'acquisition du savoir s'imbriquent dans des processus sociaux supposant pouvoir, autorité et légitimation." (p.84-85)

  • le pouvoir tant qu'expréssion des marges de manœuvre sociales
"L'analyse des processus du pouvoir ne doit donc pas se limiter à comprendre comment les contraintes sociales et l'accès aux ressources modèlent l'action sociale. Elle ne doit pas non plus conduire à une description de catégories hiérarchiques rigides et d'idéologies dominantes qui 'oppriment les victimes passives'. Au lieu de compatir idéologiquement à la malchance de ces victimes, il vaut mieux examiner dans quelle mesure certains acteurs spécifiques se sentent capables d'agir au sien de contextes ou de réseaux donnés et d'élaborer de stratégies à cet effet. Il ne s'agit pas ici de reconnaître le peu de place souvent accordé à l'initiative individuelle, mais plutôt de voir comment les acteurs se définissent et s'attribuent une marge de manœuvre pour prendre en compte leurs intérêts personnels et faire place au changement (Long, 1984)." (p.85)

"Promouvoir cette marge de manœuvre suppose un certain degré de négociation et de pouvoir, pas nécessairement un pouvoir économique ou politique, mais la possibilité de jouir d'une autorité, de prérogatives et de capacités d'action, sur le devant de la scène ou dans les coulisses, de façon éphémère ou à plus long terme (Villareal, 1992). Aussi, le pouvoir est-il fluctuant et, s'il est difficile, voir inutile, de le mesurer, il importe d'en faire une description plus précise. Ce qui fait la différence ce n'est pas tant le degré de pouvoir en jeu, mais la possibilité qu'il offre de surpasser les autres et d'en tirer profit. Le pouvoir suppose toujours luttes, négociations et compromis. Même ceux qui appartiennent à la catégorie des 'opprimés' ne sont pas des victimes passives à cent pour cent et peuvent s'engager dans une résistance active." (p.85)

"(…) les 'puissants' ne contrôlent pas totalement la situation et il ne faut pas négliger le fait que, dans une certaine mesure, ce sont les 'impuissants' qui forgent le pouvoir des premiers. Comme Scott (1985) le souligne, il est préférable de parler de résistance, d'adaptation et de complaisance stratégique. Bien que la résistance soit rarement une entreprise collective manifeste, des actes individuels de défis menés habillement, conjugués à une opposition et une mobilisation voilées, servent néanmoins à détourner les stratégies potentiellement coercitives ou opprimantes d'autres individus. Ainsi, le compromis et la complaisance stratégique, cachant parfois des actes de défi, se transforment en composantes de la vie sociale quotidienne (Scott, 1985)." (p.85)

  • La rhétorique et le dilemme de la "responsabilisation" : ici les auteurs développent une critique intéressante sur les approches participatives, se basant sur la possibilité de manipulation et en général sur l'impossibilité d'objectivité dans le processus vu les origines différentes des acteurs

"L'exposé de Kronenburg [(1986) examinant l'interaction entre les processus émancipateurs et manipulateurs dans un programme d'enseignement pratique au Kenya] décrit la nature complexe du pouvoir inhérent aux relations prévalant entre les praticiens du développement et leur 'partenaires' locaux dans le cadre de projets participatifs. Il révèle en outre comment les engagements sociaux extérieurs s'immiscent dans cette sphère et influencent le résultat des activités participatives. Aussi cette étude étaye-t-elle l'argument exposé précédemment selon lequel les processus sociaux (et notamment les interventions prétendument 'planifiées') sont très complexes et ne peuvent être aisément manipulés en recourant à des sources externes de pouvoir et d'autorité." (p.87)

Alors, je n'ai pas besoins de vous dire qu'on aura des citations de cet article dans ma thèse! :-)

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