Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

22 juil. 2008

Livre - Guy Sorman - Le génie de l’Inde

Auteur : Guy Sorman
Titre : Le génie de l’inde
Maison d’édition : Fayard
Année : 2000
Mots clés : développement, Inde, révolution verte, économie de la dignité

Dans ce livre Guy Sorman parle du développement économique récent de l'Inde, surtout à partir de la perspective de la "révolution verte" (grande augmentation de la production agricole indienne grâce à l'introduction de semences hybrides et d'un contexte structural favorable). Sans vouloir faire un résumé du livre, essayons d'indiquer quelques points de réflexion particulièrement intéressants par rapport à la thématique de la thèse*(1).

M. S. Swaminathan, biologiste indien réputé, est considéré le père de la révolution verte. En collaboration avec l'agronome américain Norman Borlaug, à partir des années 1970 Swaminathan a mis au point des hybrides de blé, de riz et de maïs qui ont permis une grande augmentation de la production indienne de céréales. Au delà des efforts initiaux dans le domaine de la biotechnologie, et convaincu que pour augmenter ses revenus les paysans pauvres avaient besoin d'être bien informés*(2), Swaminathan a mis en place à partir de 1995 dans le village de Kizhoor, à 20 kilomètres à ouest de Pondichéry, un terminal informatique.

Des volontaires (notamment des femmes appartenant aux plus basses castes) ont été formés pour utiliser l'équipement. Les programmes sont en langue local (tamoul), ce qui facilite leur appropriation par les utilisateurs. Basé dans la demande des agriculteurs, l'offre d'informations inclut: "où acheter des semences et des engrais au meilleur prix; les cours sur les marchés où ils vont écouler leurs produits (…), l'heure de passage du car (…) [mais aussi] un programme qui recense les aides publiques aux pauvres." (p177). Autant d'informations qui améliorent et la gestion du travail des petits agriculteurs et leur capacité de négociation face aux intermédiaires.

Donnant l'exemple des agriculteurs qui, après avoir été bien informés dans le centre informatique de Kizhoor, ont pu être éligibles à des programmes d'aide publique aux pauvres, Sorman parler du pouvoir de transformation social de la circulation du savoir. Selon lui: "la circulation instantanée du savoir modifiera la relation hiérarchique ancienne entre le pouvoir et le sujet, le citoyen deviendra un netoyen, mieux informé par son réseau qu'il n'est par la cité." (p177)

De façon plus générale et indépendamment de l'application technologique, la résistance de la pauvreté face à l'innovation est un autre point de réflexion qui mérite notre attention. Selon Sorman: "il n'est pas facile de convaincre un paysan pauvre [à innover]: non parce qu'il est ignorant ou rejette le changement, mais parce que son comportement conservateur est rationnel. (…) surtout s'il est à la limite de la survie, il ne peut pas aisément courir le risque du changement. Quelle assurance aurait-il en cas d'échec de l'innovation? Aucune. Il lui paraît donc préférable de ne pas innover." (p170). L'"accommodement à la pauvreté" des paysans indiens avait déjà été repéré par John Kenneth Galbraith (économiste américain, ambassadeur en Inde en 1961) tant que obstacle majeur au développement*(3). Sorman nous dit que Galbraith avait "conclu que toute stratégie de développement exigeait par priorité de réduire le risque de l'innovation" (p171).

C'est exactement pour répondre à cette nécessité de réduire le risque de l'innovation que Swaminathan a fait lui-même sur place des démonstrations de l'efficacité des nouvelles semences, par exemple. Des paysans étaient invités à visiter les champs expérimentaux de Swaminathan et peu à peu les plus entrepreneurs ont franchi le seuil de la méfiance pour adhérer aux nouvelles semences.

Après le succès de la révolution verte, Swaminathan a été amené à évaluer les limites de cette démarche. A part le fait que les nouvelles cultures étaient très consommatrices en eau et en engrais, ce qui engendre des contraintes écologiques importantes, cette initiative ne pouvait aider que les personnes ayant accès à la de terre. Complémentant le concept de développement derrière la révolution verte avec les dimensions écologique et humaine Swaminathan arrive à ce que Sorman appelle "l'économie de la dignité". Voici les commentaires de Sorman: "l'économie de la dignité s'adresse par priorité aux humbles, aux femmes, aux parias, et elle recourt à des techniques respectueuses des équilibres de la nature." (p172), "le critère de l'action économique qu'il [Swaminathan] propose n'est pas la puissance nationale, mais l'élévation de la dignité des individus; sa démarche doit donc à la pensée du Mahatma Gandhi pour qui l'homme, et non pas l'Etat ou la Nation, est la seule mesure du développement." (p168). Toujours à Kizhoor, cette approche de l'économie de la dignité support ainsi le développement de la production de champignons par des femmes pauvres et sans accès à la terre. Sorman conclut à propos de Swaminathan: "(…) il fait émerger des entrepreneurs économiquement autonomes à partir des couches les plus humbles de la population rurale."(p170)
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*(1) Ces points sont traités principalement dans le chapitre 8, "Internet à Pondichéry".
*(2) Selon Swaminathan, "le savoir, c'est le pouvoir économique"
*(3) La thèse de John Galbraith sur l'accommodement de la pauvreté se trouve dans "Théorie de la pauvreté de masse", Gallimard, Paris, 1980

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