Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

13 août 2008

Voyage de juin 2008 - constats

Une analyse comparative des divers entretiens réalisés a permis l'identification de certains invariants dans la caractérisation des principaux problèmes liés au développement des systèmes d'information agricoles en Afrique de l'Ouest. L'observation attentive de la dynamique des systèmes existants est venue compléter cette analyse pour permettre une meilleure compréhension des enjeux liés à l'échange d'informations et de connaissances entre les divers acteurs. En complément, nous présentons des constats relatifs à la base technologique des systèmes d'information dans le contexte rural africain.

En tête de la liste de préoccupations des acteurs interviewés, le faible niveau de structuration des organisations paysannes (OP) semble pénaliser fortement leur efficacité en Afrique de l'Ouest. D'un côté, en raison de leur faible structuration, les OP n'atteignent pas l'autonomie par rapport à des projets de développement spécifiques, qui ont naturellement à la fois un budget et une durée limités. De l'autre côté, en dépit de l'existence de fonctions formelles distinctes dans les organisations, en pratique la centralisation des informations et du pouvoir sur quelques élus sont des entraves à la circulation de l’information. En général, les systèmes d'information ne trouvent pas un support institutionnel suffisamment structuré et transparent sur lequel se développer.

Le faible niveau de formation des agriculteurs s'ajoute au manque de structuration professionnelle dans la liste des contraintes majeures au développement dans le contexte rural africain. L'analphabétisme fonctionnel qui caractérise la grande majorité de la population rurale limite les effets bénéfiques potentiels de la communication: les messages destinés aux agriculteurs doivent être tellement résumés et simplifiés afin d'être appropriables, qu'ils risquent de se vider de contenu. Ainsi, le travail des relais en communication est essentiellement d'alléger les informations reçues avant de les diffuser aux agriculteurs, ce qui pousse à ses limites la neutralité de cette fonction.

Ce n'est qu'en troisième lieu qui arrive le problème du manque d'infrastructure informatique de communication. Il est présent certes, à la fois en termes d’accès[1], de coût d’utilisation[2] et de fiabilité du service proposé en Afrique de l'Ouest. Mais l'importance de ce problème est relativisée par les acteurs plus expérimentés car l'efficacité d'utilisation de l'infrastructure est fortement conditionnée par les niveaux de structuration de l'organisation professionnelle et de formation des utilisateurs finaux, dans ce cas les agriculteurs. Dans l'analyse des acteurs rencontrés, le rôle de la technologie reste accessoire dans le processus de développement.

Enfin, et plutôt basé sur l'observation que sur l'analyse des entretiens, l'importance de la motivation individuelle des acteurs intermédiaires pour le succès des systèmes d'information a été constatée. Une grande hétérogénéité en termes de réactivité et d'efficacité de la communication au sein d'un même système, selon des cas spécifiques, nous a fait remarquer l'influence de la motivation personnelle des acteurs intermédiaires dans le fonctionnement global du système.

A part cette hiérarchisation des principales difficultés rencontrées dans le développement des systèmes d'information agricoles, trois constats nous semblent fondamentaux pour la compréhension des enjeux culturels liés à l'échange de connaissances entre les agriculteurs ouest-africains et à la promotion de cet échange : tout d'abord la disposition naturelle à l'échange et la volonté d'échanger davantage des agriculteurs, ensuite l'importance de l'oralité dans leur communication, et finalement l'attachement de la nouvelle génération au monde rural.

L'agriculteur ouest-africain est en général communicatif, il valorise les échanges avec ses pairs, en particulier dans le domaine professionnel. Tous les cas analysés dans cette mission confirment l'intérêt par l'échange d'informations et de connaissances, aussi bien au niveau institutionnel – la communication est une priorité stratégique pour les OP analysées – qu'individuel – les agriculteurs rencontrés veulent avoir d'avantage d'informations et d'occasions d'échange avec leurs pairs. A titre d'exemple, citons Emmanuel BoroKié Sanou, vice-président de l'union provinciale des producteurs de coton de Houet (Burkina-Faso) et président de l'union départementale de Bobo-Dioulasso, qui nous a parlé de l'intérêt qu'il pourrait avoir dans la transmission de connaissances entre les agriculteurs – surtout pour que les plus âgés comme lui puissent donner des conseils aux plus jeunes. Promouvoir l'échange d'informations, de connaissances et de savoirs-faires entre les agriculteurs ouest-africains, c'est moins une question de susciter l'intérêt que d'élaborer des méthodes adaptées et de rendre disponible des moyens techniques appropriés.

L'oralité est un aspect fondamental des cultures ouest-africaines. Les méthodes et les technologies qui sont plus facilement appropriables par les agriculteurs se basent toujours sur l'oralité. Elle est le résultat non pas seulement du faible niveau de formation – face au taux élevé d'analphabétisme de la population, le support vocal s'impose dans l'opérationnalisation de la communication – mais aussi d'une tendance culturelle – indépendamment du niveau de formation, la communication orale est préférée par habitude et coutume.

Presque tous en Afrique de l'Ouest ont une histoire lié à l'agriculture et à la vie en milieu rural. Ceux qui sont allé en ville à la recherche d’opportunités y ont trouvé également des inconvénients de poids. L’idée selon laquelle le développement ne peut se faire qu’à l’intérieur des murs de la ville commence à être relativisée. L'exemple ici vient du Sénégal, d'où Amadou Diop, chargé de communication à l'ASPRODEB, nous parle de jeunes sénégalais issus du milieu rural qui, après une formation supérieure en ville ou à l'étranger, confirment leur intérêt par le développement rural, et rentrent en brousse pour servir de leadership local. En raison de leurs parcours d'études ces jeunes sont normalement habitués à une dynamique forte en termes de communication, souvent par l'intermédiaire de l'utilisation des TIC, et peuvent jouer le rôle de promoteurs des échanges entre agriculteurs.

Maintenant, plus particulièrement sur l'utilisation des technologies, nous avons trois constats principaux: la cherté de l'accès à internet, l'explosion du téléphone portable en ville et le caractère incontournable de la radio en milieu rural.

L'utilisation de l'internet est encore très réduite, moins en raison de la possibilité d'accès que du coût des services proposés. Par exemple, la connexion à haut débit est disponible dans toutes les régions du Sénégal mais cela n'empêche pas le nombre d'utilisateurs d’être encore très faible. Les fournisseurs de services internet explorent encore le modèle économique de prix élevés et nombre réduit d'utilisateurs et tant que cela ne sera pas changé les coûts d'accès et d'utilisation resteront élevés. En plus, le réseau électrique est souvent précaire et les coupures de courant sont fréquentes, ce qui rend difficile l'utilisation continue d'internet même pour ceux qui peuvent se le procurer.

Le téléphone portable a déclenché un phénomène social d'envergure en Afrique de l'Ouest, le coût d'accès est relativement faible, et le nombre d'utilisateurs a augmenté exponentiellement dans les dernières années[3]. Cette révolution reste néanmoins essentiellement urbaine: argumentant que la faible densité de population dans les zones rurales ne permet pas une rentabilité suffisante des infrastructures, très peu d'opérateurs mobiles s'intéressent au monde rural. Une argumentation souvent infondée, comme montre le partenariat au Burkina Faso entre l'Union de Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) et l'opérateur Celtel: appelé "la flotte"[4] par les utilisateurs, ce projet de déploiement du réseau de téléphonie mobile dans les zones rurales a été un grand succès et commence à être mis en place également dans d'autres pays d'Afrique où l'opérateur en question est présent. Hormis les cas exceptionnels comme celui là, l'utilisation du téléphone portable dans le contexte professionnel agricole se heurte encore à une couverture souvent insuffisante dans les zones rurales et certainement aussi au coût d'accès qui, même que moins élevé que celui de l'internet, reste important par rapport au budget des ménages ruraux. En plus de cela, et en vue à la fois de la contrainte de l'analphabétisme dans les zones rurales et de l'influence culturelle de l'oralité, là où le portable est utilisé par des agriculteurs, cette utilisation reste essentiellement limitée à des échanges oraux.

La radio s'impose encore comme le moyen incontournable quand on parle de diffusion d'informations à un grand nombre d'agriculteurs. Avec un coût d'accès marginal et celui d'utilisation pratiquement nul, le fait non négligeable d'être déjà très diffusée parmi les agriculteurs et en plus basée intégralement sur l'oralité, la radio répond efficacement à la fois à des contraintes budgétaires et à des habitudes culturelles de la population rurale ouest-africaine.
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[1] La majorité des villages ruraux ne sont pas reliés ni même au réseau électrique.

[2] Là où la connexion est possible, l'utilisation d'internet reste chère par rapport au budget des ménages ruraux. Le coût d'accès dans un cybercafé, par exemple, va de 200 FCFA par heure à Dakar, à 500 FCFA par heure à Bamako ou à Bobo-Dioulasso. Une connexion internet personnelle à bas débit coute de 20.000 FCFA à 30.000 FCFA par mois selon la région.

[3] Selon l'Union Internationale de Télécommunications (UIT), l'utilisation des téléphones portables en Afrique a augmenté de 65% par an, dans les cinq dernières années – ce qui représente le double de la croissance moyenne mondiale (cliquez ici pour voir la source). Actuellement, encore selon des statistiques de l'UIT, l'Afrique compte plus de 300 millions d'utilisateurs de téléphones portables, et le taux de pénétration de la technologie dans le continent est proche de 30%
(cliquez ici pour voir la source).

[4] Il s'agit d'un contrat préférentiel signé entre l'opérateur de téléphonie mobile Celtel et l'UNPCB, permettant la communication illimitée entre un nombre donné d'appareils téléphoniques portables, contre le payement d'un abonnement fixe par mois. Pour des plus amples informations sur la flotte voir l'article "Visite à Celtel"

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