Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

29 août 2008

Voyage de juin 2008 - enseignements

Chacun des trois principales entraves au développement des systèmes d'information agricole citées précédemment (dans l'article des constats) donne lieu à un enseignement: l'importance de la structuration et de la transparence des OP, la nécessité de formation des acteurs à l'utilisation des systèmes, et les caractéristiques de base d'une plateforme technologique adaptée (coût réduit, largement propagée et basée sur l'oralité). Les constats concernant des aspects culturels liés à l'échange de connaissances nous permettent, d'un côté, de conclure que le questionnement de la thèse est cohérent avec la préoccupation actuelle des OP de promouvoir des échanges de connaissance et leur efficacité, et de l'autre côté, d'identifier une des conditions socioculturelles pour atteindre cet objectif: la prise en compte de l'oralité. Voici donc ces enseignements commentés.

Il faut que les agriculteurs soient organisés en organisations professionnelles pour pouvoir utiliser efficacement un système d’informations. La priorité de la structuration des organisations paysannes pour le développement rural en général et pour celui des systèmes d'appui en information en particulier a été rappelée par plusieurs de nos interlocuteurs, non pas seulement issus d'OP, mais également d'autres d'institutions indépendantes. Tous sont d'accord pour dire qu'en absence d'une structuration forte et transparente de la profession agricole les agriculteurs ne seront pas en condition de bénéficier d'un système d'information. En ce qui concerne le système d'informations, la structuration de l'organisation professionnelle sert à formaliser les rôles des différents personnes qui constitueront les points-clés du réseau de circulation d'informations. Les degrés de structuration du système et de transparence de son fonctionnement détermineront la facilité de circulation des informations au sein de l'organisation. La structuration des organisations professionnelles reste donc une priorité.

Face au constat du manque de formation des agriculteurs, considéré par bonne partie des acteurs rencontrés comme la deuxième contrainte majeure au développement agricole, toute initiative de développement à travers le déploiement d'un système d'information doit comporter un volet d'accompagnement pour la formation des utilisateurs. Cet accompagnement doit comporter aussi bien de la formation à l'utilisation des outils techniques du système que des indications méthodologiques à propos du traitement et de l'échange d'informations. Si en plus le système est conçu de façon participative et claire pour répondre aux besoins locaux, les utilisateurs seront convaincus de son utilité, et l'appropriation des moyens techniques utilisés sera favorisée. Les utilisateurs potentiels seront motivés pour apprendre et, aidés par des locaux, ils seront plus à l'aise pour surmonter des éventuelles difficultés dans la maitrise opérationnelle du système.

Puisque l'accès à internet et conséquemment la maîtrise de son utilisation sont encore très limités en Afrique de l'Ouest, surtout dans le monde rural, ce moyen de communication ne peut pas actuellement jouer le rôle principal dans la configuration d'un système d'information agricole. Dans le contexte actuel, et visant à assurer des résultats à court et moyen terme, un tel système doit utiliser des technologies dont l'accès soit moins cher et plus généralisé que celui d'internet. En plus de cela, l'appropriation du système sera d'autant plus facile que les technologies utilisées permettent l'exploration de la dimension orale dans la communication. En bref, il faut une technologie à bas coût d'accès et d'utilisation, basée sur l'oralité et qui soit largement propagée dans le monde rural africain; voilà un cahier des charges auquel la radio et, de plus en plus, le téléphone portable semblent pouvoir répondre.

Pour le développement d'un système d'information agricole, l'ordre de priorités suggéré ici – en premier lieu la structuration des OP, ensuite la formation des agriculteurs et seulement en troisième lieu la question de l'infrastructure technologique – attribue délibérément un rôle accessoire à la technologie. La technologie n'est pas une fin en soi. Mais tous les acteurs rencontrés sont convaincus de son importance et de son potentiel pour faciliter les échanges entre les divers acteurs de terrain. La technologie est un catalyseur du développement local, un outil pour rendre ce développement plus facile et plus rapide. En plus, le bon usage de la technologie peut engendrer des résultats positifs du côté de la structuration des OP: "catalysant" la communication interne, la technologie facilite une plus grande participation des producteurs aux activités de l’organisation professionnelle, fortifiant en conséquence sa structure.

En ce qui concerne les aspects culturels mis en avance précédemment, d'un côté nous pouvons vérifier que l'intérêt par l'échange de connaissances dans le monde rural est déjà exprimé par les agriculteurs ouest-africains. La motivation de la thèse[1] n'est donc pas fondée sur une simple hypothèse, elle s'avère en cohérence avec une réalité du terrain. L'expression spontanée du besoin d'échanger davantage des informations et des connaissances entre les agriculteurs témoigne de la maturité du sujet et suggère un bon accueil de la part des organisations et des projets opérationnels pour l'analyse proposée dans notre travail de recherche. De l'autre côté, le retour à la campagne des jeunes, qui étaient partis chercher une formation supérieure en ville ou à l'étranger, peut engendrer un nouveau souffle pour le développement rural. Cette nouvelle génération d'acteurs locaux est mieux disposée et préparée à l'utilisation des TIC et peut dynamiser davantage les relations entre les agriculteurs.

Enfin, la prise en compte de l'oralité, tant qu'aspect fondamental de la culture communicationnelle ouest-africaine, est une condition nécessaire au succès des systèmes d'échange d'information et de connaissances entre les agriculteurs. Le degré d'adéquation des systèmes d'information à cette caractéristique socioculturelle détermine la facilité de leur appropriation par la population et donc leur niveau de réussite.
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[1] "La motivation première de ce travail est l'analyse des conditions de mise en œuvre d'un système d'échange de connaissances entre des agriculteurs africains." (dans l'introduction de ce document)

20 août 2008

Article - Alex Mucchielli - Pour des recherches en communication

Auteur : Alex Mucchielli
Titre : Pour des recherches en communication
Dans: la revue Communication et Organisation, numéro 10
Maison d’édition : GREC/O
Année : 1996 (deuxième semestre)
Mots clés : conseil

L'auteur donne quelques conseils aux jeunes chercheurs des sciences de l'information et de la communication. Ceux qui m'ont plus attiré l'attention sont:

  • la nécessité de choisir entre le modèle hypothético-déductif (orienté par des hypothèses dans une théorie de référence) et le modèle empirico-inductif (basé sur la structuration et l'évolution d'une problématique).

"Dans le cas d'une recherche hypothético-déductive, l'analyse préalable, la formulation du contexte et des considérants de la recherche permettent la formulation d'une hypothèse précise dans un cadre théorique explicité. Le recueil de données est alors largement orienté par l'ensemble des considérants, la théorie de référence et l'hypothèse. Dans le cas d'une recherche empirico-inductive, on se trouve dans une autre logique de recherche: dans une logique dite 'de la découverte', dans une démarche de construction progressive d'éléments d'une connaissance." (pp 88-89)


Si j'ai bien compris – et il serait important d'avoir l'avis du directeur de thèse à ce propos –, en SIC[1], lorsqu'on travail avec une problématique on ne devrait pas avancer des hypothèses. Ces dernières étant liées forcement à une théorie, elles devraient être avancées seulement quand la recherche a pour but de valider ou invalider la relation entre une théorie donnée et les phénomènes étudiés.

  • dans le cas d'une recherche empirico-inductive (et donc basé sur une problématique), il faut prendre conscience du point de vue de référence du chercheur pour éviter des présupposés épistémologiques, théoriques ou idéologiques dans la formulation de la problématique. Cette prise de conscience se fait par une analyse critique de la problématique initiale[2] – ce qui doit encore être fait pour notre thèse. Basé sur ce travail initial, le chercheur doit être capable également de proposer une méthodologie spécifique pour son travail, et si possible "innovante par rapport aux habituelles et sempiternelles interviews non directives et analyses de contenus que l'on trouve partout" (p 95). Il faut donc connaître les techniques, en particulier les qualitatives[3], et ses potentialités pour les sélectionner avec pertinence.

  • de toute façon, pour savoir si on va travailler dans le cadre d'une théorie fondamentale, il faudrait connaître les théories de référence en SIC: le systémisme – ou interactionnisme – et le constructivisme, appartenant au paradigme de la complexité.

  • enfin, une phrase à garder en tête: "ce qui intéresse le chercheur en sciences de la communication c'est avant tout le 'comment' et non le 'pourquoi'" (p 88)

On a donc à faire:
  • clarifier le positionnement épistémologique pour la thèse: hypothético-déductif ou empirico-inductif? Je dirais plutôt le deuxième, mais faut-il donc abandonner l'idée d'avancer des hypothèses?
  • examiner de façon critique la problématique pour éviter des présupposés théoriques, épistémologiques ou idéologiques
  • s'introduire aux théories de référence en SIC, comme le systémisme et le constructivisme
  • étudier les divers méthodes (outils et techniques) qualitatives

Voici les conseils proprement dits de l'auteur, ainsi que quelques commentaires:

Clarifier les concepts utilisés: éviter l'utilisation de mots complexes lorsque des concepts classiques existent pour désigner le phénomène en question. Si un concept prête à confusion, préciser l'acception dans laquelle il est utilisé, et l'auteur qui sert de référence.

Clarifier le contexte de la recherche et le présenter synthétiquement au lecteur: dans le travail final, faire une synthèse du déjà connu d'essentiel sur la question et qui touche le problème traité dans la thèse.

Savoir travailler avec des hypothèses (modèle hypothético-déductif de recherche): une hypothèse se pose dans le cadre d'une théorie. On postule que le phénomène étudié est en relation avec la théorie en question; l'hypothèse sera donc le point de départ pour vérifier la validité de cette relation, et orientera fortement la recherche.

Savoir travailler avec des questions et élaborer une problématique (modèle empirico-inductif de recherche): "un questionnement (ou une problématique) prometteur doit s'appuyer sur une bonne pré-connaissance des problèmes concrets du terrain" (p 90). La réflexion préalable engendra une série de questions qui structureront la problématique sous forme d'une question principale. Cette dernière doit être examinée de façon critique[4]. L'analyse de la question originale doit permettre l'identification de préjugés ou positionnements idéologiques qui risqueraient de biaiser la recherche. Ce travail de déconstruction de la problématique a pour but de la rendre structurée et scientifiquement valide.
Mais elle n'est jamais définitive: la problématique évolue au cours de la recherche, selon que des nouveaux phénomènes ou une compréhension nouvelle apparaissent. Ces derniers doivent être intégrés[5] à la problématique.

Dépasser les problématiques linéaires: faire attention pour ne pas tomber dans des pièges simplificateurs basés sur la causalité linéaire. Le piège du "technologisme" postule que la technique est la principale cause de tous les changements à divers niveaux. Le piège du cadrage court ou inapproprié réduit le centre d'intérêt à des acteurs ou des phénomènes qui ne peuvent expliquer que partiellement la question étudiée. Il faut donc éviter le modèle de la causalité linéaire, préférant le modèle systémique, "porteur (…) de la causalité circulaire (rétroaction des causes et des effets dans un système)" (p 107).

Poser les problématiques dans les termes des sciences de l'information et de la communication, et donc, la nécessité d'être à l'aise avec ces termes.

Préciser si l'on travaille avec une problématique ou avec une hypothèse dans une théorie de référence: il faut préciser au lecteur si la recherche se base sur une problématique ou si elle fait référence à une théorie précise, et dans ce dernier cas, il faut expliciter cette théorie.

Afficher clairement la problématique de la recherche: la problématique doit être reflétée directement dans le titre du travail.

Trouver une méthodologie appropriée à sa recherche: basé sur une bonne connaissance des potentialités des diverses méthodes ("mise en œuvre d'une succession d'outils et techniques"), choisir pertinemment une méthode et la justifier explicitement dans le rapport final.

Utiliser de préférence les méthodes qualitatives: l'idée de la recherche en communication est d'expliciter le jeu d'interactions au sein d'un phénomène, et, comme "les phénomènes de communication étudiés ne sont pas en général directement visibles à travers des instruments de mesure" (p 104), il faut utiliser des méthodes plus appropriées que les quantitatives. "(…) une méthode qualitative est une succession d'opérations et de manipulations intellectuelles[6] et techniques[7] qu'un chercheur fait subir à un phénomène pour faire surgir les significations (…) le sens qui n'est jamais un donné immédiat, qui est toujours implicite" (p 105).

Apporter une réponse à la problématique de recherche annoncée: faire évoluer la problématique au cours de la recherche et, à la fin, répondre à la problématique mise à jour.

Trouver le bon cadrage: surtout dans la préoccupation d'éviter une vision simplificatrice, basée sur une logique de causalité linéaire.

Se montrer soucieux des retombées méthodologiques, théoriques, sociétales ou pratiques des découvertes de sa recherche: connecter explicitement les résultats de la recherche à des conséquences dans les domaines théorique, méthodologique et pratique. Les résultats valident ou invalident un principe théorique? Peut-on conclure de l'utilité d'une telle ou telle méthode? Peut-on suggérer des adaptations de techniques dans un contexte donné? Et finalement, l'importance de connecter la recherche à l'application concrète.
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[1] Sciences de l'information et de la communication

[2] voir plus bas le conseil "Savoir travailler avec des questions et élaborer une problématique"

[3] Ici, l'auteur suggère le Dictionnaire des méthodes qualitatives, sous sa direction, dans les éditions Armand Colin, 1996

[4] Y a-t-il, derrière la question, un postulat caché? Si oui, quel est-il? Est-il d'ordre épistémologique ou théorique? Si oui, peut-on s'en détacher et poser une autre question non implicitement orientée par ce postulat? Si non, est-ce que cette question n'est pas la reformulation d'une question classique d'un autre domaine? Qu'est-ce qu'apportera de nouveau la réponse à cette question? Quelle sera l'utilité théorique et sociale de la réponse à cette question? A-t-on des chances de traiter cette question dans une approche relevant des sciences de la communication? Si oui, à quelles conditions?

[5] "Analyse par théorisation ancrée" de Pierre Paillé: un cycle où la problématique oriente la collecte de données, leur codification, catégorisation et mise en relation mettront en évidence des nouveaux phénomènes et connaissances, qui sont intégrés à la problématique, la modifiant.

[6] "des dénominations, des transpositions de termes en d'autres termes, des regroupements intuitifs de données, de confrontation à des savoirs, des inductions généralisantes ou, à l'inverse, des réductions à des constats ou à des formes essentielles…" (p 105)

[7] "des transcriptions, des découpages de discours, des mise en tableau, des confrontations à des grilles, des substitutions systématiques de termes." (p 105)

13 août 2008

Voyage de juin 2008 - constats

Une analyse comparative des divers entretiens réalisés a permis l'identification de certains invariants dans la caractérisation des principaux problèmes liés au développement des systèmes d'information agricoles en Afrique de l'Ouest. L'observation attentive de la dynamique des systèmes existants est venue compléter cette analyse pour permettre une meilleure compréhension des enjeux liés à l'échange d'informations et de connaissances entre les divers acteurs. En complément, nous présentons des constats relatifs à la base technologique des systèmes d'information dans le contexte rural africain.

En tête de la liste de préoccupations des acteurs interviewés, le faible niveau de structuration des organisations paysannes (OP) semble pénaliser fortement leur efficacité en Afrique de l'Ouest. D'un côté, en raison de leur faible structuration, les OP n'atteignent pas l'autonomie par rapport à des projets de développement spécifiques, qui ont naturellement à la fois un budget et une durée limités. De l'autre côté, en dépit de l'existence de fonctions formelles distinctes dans les organisations, en pratique la centralisation des informations et du pouvoir sur quelques élus sont des entraves à la circulation de l’information. En général, les systèmes d'information ne trouvent pas un support institutionnel suffisamment structuré et transparent sur lequel se développer.

Le faible niveau de formation des agriculteurs s'ajoute au manque de structuration professionnelle dans la liste des contraintes majeures au développement dans le contexte rural africain. L'analphabétisme fonctionnel qui caractérise la grande majorité de la population rurale limite les effets bénéfiques potentiels de la communication: les messages destinés aux agriculteurs doivent être tellement résumés et simplifiés afin d'être appropriables, qu'ils risquent de se vider de contenu. Ainsi, le travail des relais en communication est essentiellement d'alléger les informations reçues avant de les diffuser aux agriculteurs, ce qui pousse à ses limites la neutralité de cette fonction.

Ce n'est qu'en troisième lieu qui arrive le problème du manque d'infrastructure informatique de communication. Il est présent certes, à la fois en termes d’accès[1], de coût d’utilisation[2] et de fiabilité du service proposé en Afrique de l'Ouest. Mais l'importance de ce problème est relativisée par les acteurs plus expérimentés car l'efficacité d'utilisation de l'infrastructure est fortement conditionnée par les niveaux de structuration de l'organisation professionnelle et de formation des utilisateurs finaux, dans ce cas les agriculteurs. Dans l'analyse des acteurs rencontrés, le rôle de la technologie reste accessoire dans le processus de développement.

Enfin, et plutôt basé sur l'observation que sur l'analyse des entretiens, l'importance de la motivation individuelle des acteurs intermédiaires pour le succès des systèmes d'information a été constatée. Une grande hétérogénéité en termes de réactivité et d'efficacité de la communication au sein d'un même système, selon des cas spécifiques, nous a fait remarquer l'influence de la motivation personnelle des acteurs intermédiaires dans le fonctionnement global du système.

A part cette hiérarchisation des principales difficultés rencontrées dans le développement des systèmes d'information agricoles, trois constats nous semblent fondamentaux pour la compréhension des enjeux culturels liés à l'échange de connaissances entre les agriculteurs ouest-africains et à la promotion de cet échange : tout d'abord la disposition naturelle à l'échange et la volonté d'échanger davantage des agriculteurs, ensuite l'importance de l'oralité dans leur communication, et finalement l'attachement de la nouvelle génération au monde rural.

L'agriculteur ouest-africain est en général communicatif, il valorise les échanges avec ses pairs, en particulier dans le domaine professionnel. Tous les cas analysés dans cette mission confirment l'intérêt par l'échange d'informations et de connaissances, aussi bien au niveau institutionnel – la communication est une priorité stratégique pour les OP analysées – qu'individuel – les agriculteurs rencontrés veulent avoir d'avantage d'informations et d'occasions d'échange avec leurs pairs. A titre d'exemple, citons Emmanuel BoroKié Sanou, vice-président de l'union provinciale des producteurs de coton de Houet (Burkina-Faso) et président de l'union départementale de Bobo-Dioulasso, qui nous a parlé de l'intérêt qu'il pourrait avoir dans la transmission de connaissances entre les agriculteurs – surtout pour que les plus âgés comme lui puissent donner des conseils aux plus jeunes. Promouvoir l'échange d'informations, de connaissances et de savoirs-faires entre les agriculteurs ouest-africains, c'est moins une question de susciter l'intérêt que d'élaborer des méthodes adaptées et de rendre disponible des moyens techniques appropriés.

L'oralité est un aspect fondamental des cultures ouest-africaines. Les méthodes et les technologies qui sont plus facilement appropriables par les agriculteurs se basent toujours sur l'oralité. Elle est le résultat non pas seulement du faible niveau de formation – face au taux élevé d'analphabétisme de la population, le support vocal s'impose dans l'opérationnalisation de la communication – mais aussi d'une tendance culturelle – indépendamment du niveau de formation, la communication orale est préférée par habitude et coutume.

Presque tous en Afrique de l'Ouest ont une histoire lié à l'agriculture et à la vie en milieu rural. Ceux qui sont allé en ville à la recherche d’opportunités y ont trouvé également des inconvénients de poids. L’idée selon laquelle le développement ne peut se faire qu’à l’intérieur des murs de la ville commence à être relativisée. L'exemple ici vient du Sénégal, d'où Amadou Diop, chargé de communication à l'ASPRODEB, nous parle de jeunes sénégalais issus du milieu rural qui, après une formation supérieure en ville ou à l'étranger, confirment leur intérêt par le développement rural, et rentrent en brousse pour servir de leadership local. En raison de leurs parcours d'études ces jeunes sont normalement habitués à une dynamique forte en termes de communication, souvent par l'intermédiaire de l'utilisation des TIC, et peuvent jouer le rôle de promoteurs des échanges entre agriculteurs.

Maintenant, plus particulièrement sur l'utilisation des technologies, nous avons trois constats principaux: la cherté de l'accès à internet, l'explosion du téléphone portable en ville et le caractère incontournable de la radio en milieu rural.

L'utilisation de l'internet est encore très réduite, moins en raison de la possibilité d'accès que du coût des services proposés. Par exemple, la connexion à haut débit est disponible dans toutes les régions du Sénégal mais cela n'empêche pas le nombre d'utilisateurs d’être encore très faible. Les fournisseurs de services internet explorent encore le modèle économique de prix élevés et nombre réduit d'utilisateurs et tant que cela ne sera pas changé les coûts d'accès et d'utilisation resteront élevés. En plus, le réseau électrique est souvent précaire et les coupures de courant sont fréquentes, ce qui rend difficile l'utilisation continue d'internet même pour ceux qui peuvent se le procurer.

Le téléphone portable a déclenché un phénomène social d'envergure en Afrique de l'Ouest, le coût d'accès est relativement faible, et le nombre d'utilisateurs a augmenté exponentiellement dans les dernières années[3]. Cette révolution reste néanmoins essentiellement urbaine: argumentant que la faible densité de population dans les zones rurales ne permet pas une rentabilité suffisante des infrastructures, très peu d'opérateurs mobiles s'intéressent au monde rural. Une argumentation souvent infondée, comme montre le partenariat au Burkina Faso entre l'Union de Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) et l'opérateur Celtel: appelé "la flotte"[4] par les utilisateurs, ce projet de déploiement du réseau de téléphonie mobile dans les zones rurales a été un grand succès et commence à être mis en place également dans d'autres pays d'Afrique où l'opérateur en question est présent. Hormis les cas exceptionnels comme celui là, l'utilisation du téléphone portable dans le contexte professionnel agricole se heurte encore à une couverture souvent insuffisante dans les zones rurales et certainement aussi au coût d'accès qui, même que moins élevé que celui de l'internet, reste important par rapport au budget des ménages ruraux. En plus de cela, et en vue à la fois de la contrainte de l'analphabétisme dans les zones rurales et de l'influence culturelle de l'oralité, là où le portable est utilisé par des agriculteurs, cette utilisation reste essentiellement limitée à des échanges oraux.

La radio s'impose encore comme le moyen incontournable quand on parle de diffusion d'informations à un grand nombre d'agriculteurs. Avec un coût d'accès marginal et celui d'utilisation pratiquement nul, le fait non négligeable d'être déjà très diffusée parmi les agriculteurs et en plus basée intégralement sur l'oralité, la radio répond efficacement à la fois à des contraintes budgétaires et à des habitudes culturelles de la population rurale ouest-africaine.
__________

[1] La majorité des villages ruraux ne sont pas reliés ni même au réseau électrique.

[2] Là où la connexion est possible, l'utilisation d'internet reste chère par rapport au budget des ménages ruraux. Le coût d'accès dans un cybercafé, par exemple, va de 200 FCFA par heure à Dakar, à 500 FCFA par heure à Bamako ou à Bobo-Dioulasso. Une connexion internet personnelle à bas débit coute de 20.000 FCFA à 30.000 FCFA par mois selon la région.

[3] Selon l'Union Internationale de Télécommunications (UIT), l'utilisation des téléphones portables en Afrique a augmenté de 65% par an, dans les cinq dernières années – ce qui représente le double de la croissance moyenne mondiale (cliquez ici pour voir la source). Actuellement, encore selon des statistiques de l'UIT, l'Afrique compte plus de 300 millions d'utilisateurs de téléphones portables, et le taux de pénétration de la technologie dans le continent est proche de 30%
(cliquez ici pour voir la source).

[4] Il s'agit d'un contrat préférentiel signé entre l'opérateur de téléphonie mobile Celtel et l'UNPCB, permettant la communication illimitée entre un nombre donné d'appareils téléphoniques portables, contre le payement d'un abonnement fixe par mois. Pour des plus amples informations sur la flotte voir l'article "Visite à Celtel"

7 août 2008

Coût d’utilisation d’internet en Afrique de l'Ouest

Voici quelques données sur les coûts d'utilisation d'internet dans les villes visitées.

Accès à internet dans un cybercafé
Dakar (Sénégal): de 200 à 300 FCFA* par heure
Matam (Sénégal): 300 FCFA par heure
Bamako (Mali): 500 FCFA par heure
Bobo-Dioulasso (Burkina Faso): 300 à 500 FCFA par heure

Connexion internet personnelle
Dakar (Sénégal): à partir de 20.000 FCFA par mois
Bamako (Mali): à partir de 30.000 FCFA par mois
Bobo-Dioulasso (Burkina Faso): à partir de 20.000 FCFA par mois

(…en cours de rédaction…)

* 1 euro = 655 FCFA
Sources : entretiens Marius Dia (CNCR), Mamadou Ba (CRCR de Dakar), Mamadou Bocoum (CRCR de Matam), Komonsira Dioma (AProCA), Natha Diara (UN-SCPC), Rose Somda (UNPCB)

Visite à l'Union Provinciale de Producteurs de Coton de Houet

Avec : Oumarou Savadogo, coordonnateur de l'Union Provinciale des Producteurs de Coton de Houet (UPPC de Houet); Karim Ouattara, secrétaire général de l'UPPC de Houet; Teremagan Traoré, trésorier général de l'UPPC de Houet et président de l'union départementale de Fo; et Emmanuel BoroKié Sanou, vice-président de l'UPPC de Houet et président de l'union départementale de Bobo-Dioulasso.
Quand : le 27 juin 2008
Où : au siège de l'UPPC de Houet
Objet : circulation d'informations entre les différents niveaux institutionnels de la filière cotonnière au Burkina

L'objectif de cette visite était d'avoir un deuxième point de vue (de cette fois au niveau provincial) sur le système d'informations des producteurs de coton burkinabais. Nous avons discuté principalement sur la dynamique d'échange d'informations entre les divers niveaux institutionnels et sur les moyens de communication utilisés (la flotte, la radio, des affiches, l'email, le bouche-à-oreille).

Les producteurs se réunissent périodiquement au sein du GPC (groupement de producteurs de coton) pour discuter à propos des exploitations. Quand ils sentent avoir besoin d'une aide particulière pour traiter un sujet spécifique où quand ils veulent faire passer un message, ils demandent la présence d'un élu de l'union départementale. Cet élu profite souvent de l'opportunité pour faire passer d'autres informations qu'il a pu avoir par ailleurs. De retour à sont poste, l'élu de l'union départementale entre en contact (par téléphone, ou en se déplaçant) avec des élus de l'union provinciale ou nationale pour les informer des demandes venant du terrain. En plus des cas où la présence de l'élu d'un niveau supérieur est demandée pour une réunion spécifique, des réunions extraordinaires d'information et des missions de sensibilisation sont aussi organisées sporadiquement (par exemple, 3 à 4 équipes d'une union départemental parcourent les villages pour diffuser des informations sur une nouvelle technique agricole). Les conseilleurs techniques ont aussi un rôle important dans la circulation de l'information. Ils profitent de leur mobilité entre le terrain et les centres institutionnels (de l'union de producteurs ou des compagnies cotonnières) pour faire passer des messages dans les deux sens. Le bouche-à-oreille reste un moyen privilégié de communication.

Avant l'existence de la flotte (*1), aussi bien des élus que des technicien avaient souvent besoin de se déplacer pour transmettre une information, surtout quand il s'agissait d'une urgence. L'utilisation des téléphones portables a permis une réduction brusque des déplacements – au moins pour ceux qui y ont accès (pour l'instant seulement les niveaux national et provincial). Cohérente avec la culture locale d'oralité et le fort taux d'analphabétisme, l'utilisation des téléphones portables se résument, dans la grande majorité des cas, à des échanges oraux (des messages écrits ne sont que rarement utilisés).

Les informations circulent donc entre les élus, les techniciens et font leur chemin jusqu'aux GPC. Si néanmoins une information doit être diffusée à un très grand nombre de GPC et avec une certaine urgence, la radio (*2) est utilisée.

L'utilisation de l'ordinateur et conséquemment de l'email est très réduite, se résumant à quelques messages échangés entre les niveaux national et provincial – la grande majorité des villages ruraux n'ont même pas d'électricité, et là ou cela n'est pas le cas, l'accès à une connexion internet reste très couteux. Dans le bureau de l'union provinciale de Houet il y a une connexion internet, mais elle est lente et n'est pas fiable. Le coordonateur de cette union, Monsieur Savadogo, reçoit par email des documents de la part de Madame Somda (responsable de communication de l'UNPCB), comme la news letter de l'AProCA, et d'autres lettres d'information (de l'AFD, Grain de Sel, entre autres). Il imprime ces que lui semble plus intéressant et les affiche dans un panneau d'affichage au siège de l'union provinciale. Les élus et techniciens qui passent par là peuvent lire les informations sur le panneau et les transmettre au niveau des départements. Parfois des documents sont envoyés par la poste, mais ce service n'est pas non plus très fiable.

Emmanuel BoroKié Sanou m'a parlé, à la fin de l'entretien, de l'intérêt qu'il pourrait avoir dans la transmission de connaissances entre les agriculteurs – surtout pour que les plus âgés comme lui puissent donner des conseils aux plus jeunes. Cela montre bien que la volonté d'échanger des connaissances et de savoirs-faires existe. Si la flotte a permis une meilleure circulation des informations au sein de la filière cotonnière au Burkina, il me semble qu'elle reste encore très limitée – aussi bien en termes de nombre de bénéficiaires (l'UNPCB n'a pas les moyens d'éteindre l'accès à la flotte à tous ces membres) que d'applications offertes (pour l'instant limité à des échanges oraux conventionnels) – pour permettre le développement des systèmes d'échange de connaissances. En plus, il faut penser à concevoir des systèmes qui soient facilement appropriables par des personnes ayant eu peu ou aucune formation, si possible explorant l'oralité qui est si chère aux Burkinabais. Monsieur Sanagoroké est semi-analphabète et l'ordinateur semble encore lui faire peur. Mais il se débrouille bien avec son portable. Allier la flotte à des émissions interactives à la radio peut s'avérer une piste à explorer!

(*1) Il s'agit d'un contrat préférentiel signé entre l'opérateur de téléphonie mobile Celtel et l'UNPCB, permettant la communication illimitée entre un nombre donné d'appareils téléphoniques portables, contre le payement d'un abonnement fixe par mois (voir détail dans l'article Visite à Celtel).
(*2) pour quelques détails sur l'utilisation de radios dans la diffusion de messages par l'UNPCB, voir l'article Visite à l'UNPCB.

Visite à Celtel

Avec : Paul Gouba, chef d'agence à Bobo-Dioulasso; Joseph Somé, responsable commercial; et Rose Somda, responsable communication à l'UNPCB
Quand : le 26 juin 2008
Où : à l'agence Celtel de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
Objet : la flotte

L'objectif de cette visite était de mieux comprendre l'historique et le fonctionnement de "la flotte". Il s'agit d'un contrat préférentiel signé entre l'opérateur de téléphonie mobile Celtel et l'UNPCB, permettant la communication illimitée entre un nombre donné d'appareils téléphoniques portables, contre le payement d'un abonnement fixe par mois.

Le projet est né de la volonté du président de l'UNPCB, François Traoré, de donner à son institution un nouveau moyen de communication, mobile et à un prix accessible. Monsieur Traoré est allé rencontrer des opérateurs de téléphonie mobile pour proposer l'exploration d'une nouvelle niche de marché: le téléphone portable comme outil de travail pour des agriculteurs. La plus grande réceptivité a été celle de la compagnie Celtel, qui, même réticente au début, a accepté de monter un projet pilote d'un "ensemble communautaire téléphonique", la "flotte" comme ils ont convenu de l'appeler. Celtel s'engageait à installer davantage de tours de retransmission dans les zones rurales et profitait de l'organisation des producteurs de coton pour assurer un nombre minimum d'utilisateurs dès le début de l'opération.

Une étude a été faite avec l'UNPCB pour déterminer le positionnement stratégique de nouvelles antennes, et un projet pilote d'une année a été lancé en 2005. Les règles de base étaient: l'UNPCB paye des abonnements fixes par mois pour un nombre donné de lignes et les utilisateurs ont droit à la communication illimitée entre les lignes de l'ensemble communautaire. Initialement le coût de l'abonnement montait à 7500 FCFA (équivalant à 11,45 €) par mois par ligne. Avec le succès du projet et l'augmentation du nombre de lignes dans la flotte le coût de l'abonnement a baissé: depuis le début 2008 l'UNPCB paye 5000 FCFA (7,63 €) par mois par ligne. Actuellement la flotte compte un peu plus de 230 lignes.

Le succès du projet pilote a minimisé les préoccupations de l'opérateur Celtel, qui progressivement passait à voir la flotte moins comme un risque et plus comme une opportunité d'accélérer la poursuite de l'objectif institutionnel d'une couverture maximale du territoire du Burkina. Une situation gagnant-gagnant s'est donc établie: l'UNPCB profite d'un nouveau moyen de communication efficace et à un coût abordable pour fortifier son système de communication interne, et Celtel explore une nouvelle niche de marché avec de conséquences non négligeables en termes de marketing. L'initiative a même répercutée à l'international. Des systèmes semblables à la flotte commencent à être mis en place dans d'autres pays où Celtel est implanté: Nigeria, Mali, Gabon, Tchad, entre autres.

François Traoré dit que grâce à la flotte et à la conséquente augmentation de la fluidité de la circulation d'informations au sein de l'UNPCB, la structure de l'institution a été beaucoup fortifiée. De plus en plus de membres de l'UNPCB demandent leur intégration "dans" la flotte. Pour l'instant seulement les leaders aux niveaux national et provincial y ont accès. Le facteur limitant ici reste d'ordre financière – l'UNPCB n'a pas encore trouvé des moyens pour offrir le service à un plus grand nombre de membres.

Si la flotte a pu être un succès pareil au sein de l'UNPCB, c'est à la fois parce qu'elle répond à un besoin exprimé par les agriculteurs, et parce qu'elle est bien adaptée au contexte du monde rural burkinabais, où le taux d'analphabétisme est fort et la culture basée sur l'oralité.

6 août 2008

Article - Gilles Willett - Paradigme, Théorie, Modèle, Schéma

Auteur : Gilles Willett
Titre : Paradigme, Théorie, Modèle, Schéma: qu'est-ce donc?
Dans: la revue Communication et Organisation, numéro 10
Maison d’édition : GREC/O
Année : 1996 (deuxième semestre)
Mots clés : paradigme, théorie, modèle, schéma

Gilles Willett part de considérations de plusieurs auteurs sur les termes "paradigme", "théorie", "modèle" et "schéma" pour essayer de préciser leurs définitions et lever des ambigüités courantes, tout en soulignant qu'il n'a pas la prétention de clarifier complètement la question. Je commente ici les points qui me semblent les plus importants de son article.

Basé principalement sur la réflexion de Thomas Samuel Khun, l'auteur présente la notion de paradigme comme l'ensemble de "croyances, des mythes, des standards et des normes qui fondent le consensus dans un groupe de chercheurs et déterminent le choix des problèmes étudiés et des méthodes retenues pour trouver des solutions" (p. 56). Le paradigme n'est donc pas lié au domaine de recherche en soi. Il opère son influence dans le développement des connaissances plutôt par l'intermédiaire des chercheurs, modulant leur façon de traiter les problèmes. Le point qui me semble le plus intéressant est le caractère contradictoire de cette influence par rapport au développement de la connaissance. D'un côté le paradigme limite la vision du chercheur dans le sens qu'il empêche l'abordage des problèmes à partir de points de vue alternatifs. De l'autre côté, c'est grâce au paradigme – et au conséquent cadre de travail commun – que les chercheurs arrivent à coordonner leurs efforts dans un domaine donné. Il ne s'agit pas ici de se décider "pour ou contre" les paradigmes. Dans le cadre de la réflexion scientifique, je ne crois pas que nous ayons la possibilité de ce choix (nous ne pouvons pas éviter complètement l'influence des paradigmes). Il me semble néanmoins important d'être conscient de cette influence pour gagner en marge de manœuvre et minimiser ses effets potentiellement négatifs. Très concrètement, et par rapport à l'exemple donné, cela reviendrait à faire un effort systématique d'être vigilant pour prendre en compte d'autres points de vue dans l'analyse des problèmes étudiés.

Selon Willett, la théorie est "une construction de l'esprit élaborée suite à des observations systématiques de quelques aspects de la réalité" (p. 58). Ces observations sont rigoureuses et permettent la validation ou réfutation d'hypothèses formulées préalablement. Citant indirectement Littlejohn*, l'auteur dit que "le but d'une théorie est de découvrir, de comprendre et de prédire les événements" (p. 57). Willett parle ensuite de deux paradigmes scientifiques: l'approche traditionnelle, d'un côté, et l'interprétative et critique, de l'autre. L'approche traditionnelle se base sur la conception hypothético-déductive de la recherche, comportant l'énoncé d'une problématique, la formulation d'hypothèses, leur vérification à travers l'observation et la mesure (supposant la définition et l'opérationnalisation de variables), et finalement l'énoncé de la théorie. Selon Willett, "cette perspective signifie que la meilleure façon de comprendre des phénomènes complexes c'est d'en faire une analyse fine des parties" (p. 60). L'approche interprétative et critique, de l'autre côté, considère que "le comportement humain n'a pas une structure statique singulière qui peut être découverte et représentée par une théorie" (p. 62), et qu'il ne serait donc pas possible de fragmenter ce comportement en des variables. "Puisque la réalité change et peut être représentée utilement de différentes manières, les analyses fondées sur cette approche portent sur l'observation et l'interprétation du monde symbolique qui oriente les comportements et les interrelations humaines" (p. 62). C'est la première fois que j'écoute parler de cette approche interprétative critique, et sa perspective holistique me semble particulièrement intéressante pour la recherche en communication et en particulier pour notre travail de thèse – l'avis et l'orientation du directeur de thèse sont anxieusement attendus sur cet aspect.

Un modèle est "une représentation systématique, simple et provisoire relative à des observations et de mesures" (p. 73). Il est une projection d'une théorie donnée, "une partie concrète de la théorie qui est directement en rapport avec un ensemble de comportements" (p. 64) ou de situations, ayant comme objectif de faciliter la représentation et l'interprétation de ces comportements et situations. L'auteur développe également les principes sur lesquels la production d'un modèle est fondée (objectivité, intelligibilité et rationalité), ses quatre fonctions (d'organisation, heuristique, de prédiction et de mesure), ainsi que les trois critères d'évaluation d'un modèle (exactitude, beauté et justice).

Enfin, Willett dit que le schéma est "un outil de traduction et de représentation logique d'aspects essentiels d'une réalité" (p. 77). L'auteur rappelle également que les schémas suscitent l'intérêt et l'attention, et qu'il facilite la compréhension et la mémorisation de contenus, ainsi que leurs comparaisons et analyses.

En vue de l'emploi récurrent des termes en question et de la précision de langage exigée dans un travail scientifique, il convient de les utiliser avec une attention spéciale lors de la rédaction de la thèse (et des plusieurs documents intermédiaires). Dans ce sens, on pourrait dire, par exemple, que les cartes conceptuelles utilisées pour illustrer les articles Notion de communication et Notion de culture humaine de ce blog, sont des schémas.

* Citant Littlejohn, Willett présente également dans l'article les neuf fonctions de la théorie (d'organisation et de synthèse, d'intérêt, de clarification, d'observation, de prédiction, heuristique, de communication, de contrôle, et de générativité) et les cinq critères d'évaluation d'une théorie (d'envergure, d'opportunité, de valeur heuristique, de validité et de simplicité).

5 août 2008

Visite à l’UNPCB

Avec : Lamy Ouattara, secrétaire général de l'UNPCB; Monsieur Sessouma, responsable adjoint à l'information; et Rose Somda, responsable communication à l'UNPCB
Quand : le 26 juin 2008
Où : au siège de l'UNPCB (Union Nationale de Producteurs de Coton du Burkina), Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
Objet : le système d'information de l'UNPCB

Tout d'abord Lamy Ouattara, secrétaire général de l'UNPCB, m'a présenté brièvement l'organisation de la filière cotonnière au Burkina Faso. Ensuite, Rose Somda, responsable par la communication à l'UNPCB, a complété l'exposition avec des détails sur les efforts de consolidation de la communication interne à l'UNPCB.

Depuis 1996 les agriculteurs burkinabais sont organisés dans des groupements, dans le cas du coton, des groupements de producteurs de coton (GPC). Les échelons supérieurs de l'organisation professionnelle de la filière sont: les unions départementales, les unions provinciales, et l'union nationale (UNPCB). A chaque campagne, la répartition des taches dans la chaine institutionnelle se fait de la façon suivante. Les GPC sont responsables par l'activité productive en soi (labour des champs et collecte du coton), ainsi que par l'expression de besoins en intrants. Chaque GPC établi également une caution solidaire pour pouvoir bénéficier du prêt de campagne qui permettra l'achat des intrants. L'union départementale assure la liaison entre les GPC et union provinciale correspondante. C'est au niveau de l'union départementale que sont faites les analyses sur la capacité d'endettement des groupements, et le filtrage de leurs demandes. Les besoins en intrants ainsi exprimés et validés sont transmis par l'union nationale aux sociétés cotonnières, qui font la commande des intrants. Qui paye la facture est l'institution financière où les groupements ont des comptes. L'union nationale assure la coordination du mécanisme.

Les activités de communication interne dans l'UNPCB sont le résultat des efforts de salariés – comme la responsable en communication (Rose Somda), l'équipe technique et des techniciens agronomes – et des élus – surtout du bureau exécutif, du conseil d'administration et de l'assemblée générale. Deux chaînes principales semblent s'établir dans la communication ascendante et descendante dans la profession cotonnière burkinabais: une entre la responsable à la communication (Rose), les techniciens et les producteurs, et l'autre entre la responsable de communication, les élus des différents niveaux institutionnels et les producteurs.

Les principales sources des informations circulant dans le système de communication interne sont: les GPC (expression de besoins), le bureau exécutif de l'UNPCB (des décisions à diffuser), les sociétés cotonnières et ses agents techniques (des informations agronomiques), l'Etat par le Ministère de l'Agriculture (les tendances météorologiques de la saison, diffusées une fois par mois), et le résultat de la veille faite par Rose sur internet (utilisant même Google Alert) et des lettres d'information. Les documents envoyés par l'AProCA, comme la news letter et les rapport de voyage du président Traoré, par exemple, sont transférés par email aux techniciens et aux autres membres qui disposent d'un compte email. Un résumé du document est envoyé dans le corps du message.

En termes de traitement des messages, les informations d'actualité (sur les négociations agricoles internationales, par exemple) sont résumées et expliqué dans des termes simples. Parfois la traduction en langue locale est aussi assurée.

Plusieurs canaux de diffusion sont employés, avec des niveaux d'efficacité très différents: le courrier (des lettres), le téléphone portable (la flotte: contrat avec opérateur mobile permettant la communication illimité, disponible pour les responsables des unions provinciales et de l'union nationale), le fax (parfois), l'email (entre les techniciens), un journal papier (destiné aux producteurs, mais sans grande acceptation), la radio, des réunions de concertation, le relais assuré par des techniciens en contact fréquent avec le terrain, et le bouche à l'oreille – qui reste quand même un canal privilégié.

L'utilisation de l'internet est, en général, restreinte aux techniciens et les problèmes d'infrastructure et de coût d'utilisation sont encore importants (voir article de la visite à l'union provinciale de Bobo-Dioulasso). Seulement 3 des 6 zones cotonnières ont accès facile à internet, soit par l'existence de cybercafés soit, plus rarement, par l'accès à internet dans le bureau.

Le projet de communication de l'UNPCB incluait la mise en œuvre de 5 radios rurales. Par manque de financement seulement une (la radio l'écho des cotonniers) a pu être créée. L'UNPCB vient d'avoir un financement d'Oxfam pour améliorer les installations de sa radio propre, l'écho des cotonniers. Des nouveaux dipôles seront installés et l'émetteur sera changé pour que la zone de couverture de la radio soit davantage étendue. En attendant des financements complémentaires, des contrats sont établis avec d'autres radios pour la production d'émissions et leur diffusion. Des cassettes sont enregistrées dans une radio à Bobo-Dioulasso et envoyés dans les différentes régions pour diffusion dans des radios de proximité. Les émissions sont animées par des acteurs de terrain, des techniciens et de producteurs. Les informations diffusées concernent surtout l'étape courante de la campagne (conseils sur préparation de sols, l'utilisation des herbicides, le moment propice de semer; après sur l'utilisation d'insecticides pour la protection du cotonnier, et ainsi de suite). En plus, ces émissions sont diffusées en langue locale: lors de l'enregistrement des cassettes dans le studio de la radio à Bobo-Dioulasso, des personnes font la traduction simultanée dans la langue plus parlé dans la région à laquelle la cassette en question sera envoyée. Selon Monsieur Ouattara, "la radio est un moyen incontournable". L'équipe de communication de l'UNPCB rêve avec la possibilité de mettre en place les autres quatre radios, dans des endroits stratégiques pour pouvoir atteindre le plus grand nombre des producteurs de coton.

En plus de structurer progressivement le système d'information de l'union, l'UNPCB s'investit également dans des programmes de formation. Deux volets principaux sont concernés: l'alphabétisation dans les langues locales, et des missions d'échanges d'expériences des élus avec des producteurs de coton d'autres pays. Pour ce dernier, des voyages ont déjà été organisés au Cameroun, au Benin, au Ghana, au Mali, entre autres. Les conclusions de tels missions sont ensuite diffusées par le journal.

Visite à l’UN-SCPC et à un village proche à Ouelessebougou

Avec : Natha Diara, secrétaire général de l'UN-SCPC; Mamadou Kante, conseilleur technique; Tiassé Coulibaly, délégué à l'information et à la communication au conseil d'administration de l'UN-SCPC; et les Messieurs Camara et Konaré, conseilleurs ruraux du village de Ouelessebougou
Quand : les 23 et 24 juin 2008
Où : au siège de l'UN-SCPC (Union Nationale des Sociétés Cotonnières et des Producteurs de Coton), Bamako; et dans un village proche à Ouelessebougou, Mali
Objet : le système d'information de l'UN-SCPC, communication jusqu'à la base

Après avoir eu un panorama du système d'information de l'AProCA avec Komonsira Dioma, il nous fallait rencontrer des plateformes nationales pour vérifier comment la communication institutionnelle se fait aux niveaux national et local dans la filière cotonnière de l'Afrique de l'Ouest. Pour commencer, j'ai fait une visite au siège de l'union nationale malienne, l'UN-SCPC, et ensuite une visite de terrain, dans un village proche à Ouelessebougou.

Mon principal interlocuteur au siège a été le secrétaire général, Natha Diara. Il m'a dit que la communication était une des activités phares du plan stratégique quinquennal de l'union, avec des projets d'implantation de revues d'information, de contrats avec des radios rurales pour la diffusion, de sessions de formation agricole (gestion d'intrants) et de développement du réseau de relais en communication.

Ce discours semble intéressant, mais malheureusement il est encore très loin de ce qui j'ai pu constater sur le terrain le lendemain. Accompagné du délégué à l'information et à la communication auprès du conseil d'administration de l'union, Tiassé Coulibaly, et de deux conseilleurs ruraux, Messieurs Camara et Konaré, je suis allé visiter un petit village de producteurs de coton à une quinzaine de kilomètres d'Ouelessebougou (à 60 km au Sud de Bamako). Reflétant la précarité de l'infrastructure générale du village (maisons rustiques, absence de réseau d'eau et d'assainissement, absence de réseau électrique), les possibilités de communication avec l'extérieur sont très réduites.

Il y a une cabine téléphonique, mais on paye même pour recevoir des appels. Dans le contexte professionnel, elle est utilisée pour faire remonter des informations pluviométriques à l'institut météorologique de Bamako, et très rarement pour des communications entre les conseilleurs ruraux et les producteurs. Un des producteurs du village a un téléphone portable personnel qu'il utilise également pour se communiquer avec les conseilleurs, ce que lui permet d'informer dans la suite ses collègues du village, mais cela seulement quand il est en déplacement, car il n'y a pas de signal de téléphonie mobile dans le village. Paradoxalement, le principal outil de communication dans la région est une moto, qui les conseilleurs utilisent pour faire le tour des villages de la région de temps en temps pour diffuser des informations et s'informer sur les problèmes rencontrés par les producteurs. En général la communication dépend du déplacement: les producteurs vont s'informer dans les marchés et dans les lieux de passage de la région.

En parlant avec les producteurs j'ai pu constater, entre autres, qu'aucun des producteurs présents dans le rendez-vous (et ils étaient presque tous là) ne connaissait l'initiative d'Université du Coton initiée par l'AProCA et mise en œuvre en partenariat avec la Fondation FARM. D'ailleurs, la grande majorité (tous sauf un) ignorait l'existence même de l'AProCA – inutile donc de se demander si les news letter préparées par le responsable de communication de l'AProCA arrivent aux producteurs de coton maliens. On voit donc que le problème de diffusion d'informations au-delà du niveau des plateformes nationales reste entier, au moins dans le cas du Mali. La communication interne à l'union UN-SCPC ne semble pas non plus bien fonctionner, voici un exemple flagrant: les conseilleurs ruraux de la région d'Ouelessebougou, et bien entendu aussi tous les producteurs réunis pour me recevoir dans le village, pensait que je venais de la Banque Mondiale. J'espère ne pas les avoir déçus en expliquant le malentendu.

4 août 2008

Livre - Martin Heidegger - La question de la technique

Auteur : Martin Heidegger
Titre : Essais et conférences – chapitre: La question de la technique
Maison d’édition : Gallimard
Année : 1958
traduit de l'Allemand par André Préau
Mots clés : technique, dévoilement, contrôle, essence, vérité

Une fois que notre thèse porte sur l'utilisation d'outils technologiques, il nous a semblé cohérent d'étudier ce qui régit le processus de mise en œuvre de tels outils: la notion de technique. Martin Heidegger propose dans le premier chapitre de ce livre une réflexion philosophique sur la technique. Voici un aperçu de son raisonnement et une première réflexion sur les implications par rapport au travail de la thèse.

En première approximation Heidegger parle de la technique comme étant "un moyen de certaines fins (…) une activité de l'homme" (p. 10). Pour approfondir cette notion, Heidegger approche celle du dévoilement. Selon lui, le dévoilement est le processus par lequel ce qui est caché devient non-caché. Dans ce sens, le dévoilement dépasse largement "une activité de l'homme" et est une moyen de manifestation de la vérité (*1). Heidegger défend l'idée que "la technique n'est pas seulement un moyen: elle est un mode du dévoilement" (p. 18), donc, du domaine de la vérité.

Mais il s'agirait d'un mode très particulier du dévoilement, propre à l'homme et marqué par sa rationalité: "La technique arraisonne la nature, elle l'arrête et l'inspecte (…) et la met au régime de la raison" (p. 26).

Selon Heidegger le dévoilement qui se met en place à travers la technique moderne est caractérisé par une double provocation: l'homme qui provoque la nature pour en récupérer l'énergie

"Le dévoilement qui régit la technique moderne est une pro-vocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée. (…) [il] a le caractère d'une interpellation au sens d'une pro-vocation. Celle-ci a lieu lorsque l'énergie cachée dans la nature est libérée, que ce qui est ainsi obtenu est transformé, que le transformé est accumulé, l'accumulé à sont tour réparti et le réparti à nouveau commué. Obtenir, transformer, accumuler, répartir, commuer sont des modes du dévoilement [de la technique moderne]." (pp. 20-22)

…et l'homme qui est provoqué par sa rationalité à commettre la première provocation; l'homme qui est provoqué à imposer sa volonté de contrôle sur la nature:

"(…) l'homme est pro-voqué d'une façon plus originelle que les énergies de la nature, à savoir au 'commettre' (…). En s'adonnant à la technique, il prend part au commettre comme à un mode du dévoilement." (pp. 24-25)

Ainsi, la technique moderne est pour Heidegger le "dévoilement qui provoque" (pp. 23-24). L'essence de cette technique serait donc la tendance de l'homme à imposer sa rationalité au monde, à vouloir contrôler l'existence des choses, diriger leur dévoilement. Cette tendance Heidegger appelle Arraisonnement.

"La direction elle-même, de son côté, est partout assurée. Direction et assurance (de direction) sont même les traits principaux du dévoilement qui provoque." (p. 22)

Heidegger voit dans l'essence de la technique ainsi définie à la fois un grand danger et un espoir fondamental pour l'humanité. Le danger est que l'homme, empreint de cette volonté de contrôle, passe à côté de l'essence fondamentale des choses, limitant sa compréhension de leur dévoilement au 'commettre', à l'utilité prévue par sa rationalité:

"La menace qui pèse sur l'homme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la technique (…) la menace véritable a déjà atteint l'homme dans son être. (…) Le règne de l'Arraisonnement nous menace de l'éventualité qu'à l'homme puisse être refusé de revenir à un dévoilement plus originel et d'entendre ainsi l'appel d'une vérité plus initiale." (pp. 37-38)

L'espoir est que la nature même de la technique, tant que mode de dévoilement, peut l'affirmer comme voie d'accès à la vérité et donc d'aide à l'épanouissement de l'être humain:

"la pro-vocation, qui engage dans l'acte par lequel le réel est commis comme fonds (*2), demeure toujours, elle-aussi, un envoi (du destin), qui conduit l'homme vers un des chemins du dévoilement. En tant qu'elle est ce destin, l'essence de la technique engage l'homme dans ce qu'il ne peut de lui-même, ni inventer, ni encore moins faire. Car, un homme qui ne serait qu'homme, uniquement de et par lui-même: une telle chose n'existe pas." (p. 43)

Heidegger résume ainsi l'ambigüité de l'essence de la technique (l'Arraisonnement):

"D'un côté l'Arraisonnement pro-voque à entrer dans le mouvement furieux du commettre, qui bouche toute vue sur la production du dévoilement et met ainsi radicalement en péril notre rapport à l'essence de la vérité. D'un autre côté l'Arraisonnement a lieu dans 'ce qui accorde' et qui détermine l'homme à persister (dans son rôle): être – encore inexpérimenté, mais plus expert peut-être à l'avenir – celui qui est main-tenu à veiller sur l'essence de la vérité." (pp. 44-45)

Pour le travail de la thèse il me semble qu'un enseignement à retenir soit donc que la technique peut être un outil puissant de dévoilement de la vérité, à condition d'être considérée dans sa bonne mesure, en évitant la fascination par les moyens techniques. Heidegger semble nous suggérer à chercher connaître davantage l'essence des choses à travers la technique, et à laisser de côté l'idée de contrôle qui elle peut nous proposer. Un contrôle qui serait, de toute façon, appliqué sur une perception très superficielle et peut-être illusoire de la réalité.

"[Il faut apercevoir] ce qui dans la technique est essentiel, au lieu de nous laisser fasciner par les choses techniques. Aussi longtemps que nous nous représentons la technique comme un instrument, nous restons pris dans la volonté de la maîtriser. Nous passons à côté de l'essence de la technique." (p. 44)

(*1) Le terme en Grec pour dévoilement a été traduit en romain par veritas, ce qui donne en Allemand Wahrheit (en Français, vérité).

(*2) Heidegger appelle "fonds" le caractère de ce qui a été dévoilé (sorti de l'occultation) sous l'influence d'une volonté de contrôle; ce qui a été produit de façon intentionnelle et contrôlée.

1 août 2008

Visite à l’AProCA, entretien avec Komonsira Dioma

Avec : Komonsira Dioma, responsable communication à l'AProCA
Quand : le 23 juin 2008
Où : au siège de l'AProCA (Association des Producteurs de Coton Africains), Bamako, Mali
Objet : le système d'information de l'AProCA

Dans cet agréable entretien, notre ami Dioma nous a parlé du système d'information de l'AProCA et des principaux enjeux pour le développement d'une plus grande intégration entre les différents niveaux institutionnels des organisations professionnels de producteurs de coton. Il a tout d'abord parlé du circuit de l'information (collecte, traitement, diffusion, retro-alimentation) entre l'AProCA et les plateformes nationales de producteurs de coton. Ensuite il a exposé l'effort de l'AProCA pour le renforcement des systèmes nationaux d'information et il a parlé du rôle fondamental du téléphone dans les communications internes. Pour finir il a fait une réflexion sur l'importance et les conditions préalables d'une bonne communication au sein de la profession agricole.

Commençant donc par le circuit de l'information chez AproCA, Dioma m'a dit que, en termes de collecte d'informations, il conduit des veilles biotechnologique, politique et commerciale essentiellement par internet. Ces veilles se basent sur des expressions de recherche systématiques (comme "coton", "politique agricole", "subvention agricole", "négociation commerciale OMC", etc.) et des demandes spécifiques venant de la direction des plateformes nationales. Les principales sources d'information sont:
  • des sites d'instituts de recherche, comme le CORAF (Conseil Ouest et Centre Africain pour la recherche et le développement agricole);
  • des sites d'institutions sous-régionales, comme l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale);
  • des news letters, comme celles d'Oxfam, d'Ideas et de la CEDEAO; ainsi que
  • de la presse sur internet.

En ce qui concerne le traitement des informations, Dioma m'a dit qu'il fait de retranscriptions des informations qui lui semblent plus importantes en utilisant un langage aussi basic que possible pour faciliter la compréhension par les utilisateurs potentiels. Sa mission dans cet aspect est de résumer et de simplifier les messages. Les informations sont diffusées en Français et en Anglais (pour le Ghana, la Gambie et la Guinée Bissau) au même moment. Il y a également un projet de traduction en langues locales de quelques documents fondamentaux, comme le "Guide de bonnes pratiques face à la libéralisation".

Les principaux canaux de diffusion sont la news letter et le site de l'AProCA, et aussi les emails. Ces derniers sont utilisés pour la communication tout court évidemment, mais aussi pour diffuser des résumés des news letters et les informations administratives. Pour l'instant Dioma n'a pas les moyens de s'assurer que les news letters arrivent aux producteurs. Les interlocuteurs de l'AProCA sont les unions nationales et la diffusion des informations au sein de chaque plateforme dépend essentiellement de leurs dynamismes respectifs. Après 2006, quand une enquête sur les besoins en information des agriculteurs a été réalisée, des cellules d'information ont été établies en annexe à la direction de chaque plateforme nationale: ce sont les "points focaux". Ces points focaux sont constitués d'un technicien et de deux producteurs (élus dans le cadre de l'organisation professionnelle). Les producteurs ont un rôle de validation par rapport aux messages qui circulent dans le système et les besoins des producteurs. Selon Dioma, cette configuration vise à "éviter que cela ne soit une affaire de techniciens".

La remontée d'informations (depuis les plateformes nationales vers l'AProCA) se fait à la demande pour des questions spécifiques ou, même que moins fréquemment, de façon spontanée. Dioma a donc témoigné de la grande hétérogénéité de réactivité des plusieurs points focaux. Selon lui, un des facteurs explicatif est la nature de l'embauche des personnes liées aux points focaux. Ainsi, dans les diverses plateformes, les personnes intégrant les points focaux sont des salariés ou des personnes mises à disposition par d'autres institutions. Selon Dioma, en générale, la motivation et réactivité des salariés sont supérieures à celles des personnes mises à disposition.

Les principales dépenses de l'AProCA en termes de communication sont le téléphone, la connexion internet et l'hébergement du site de l'association*. Le téléphone a un rôle très important dans la communication institutionnelle du réseau AProCA. Il est utilisé, par exemple, pour la confirmation de réception de messages électroniques, mais aussi, et principalement pour la communication avec les élus, qui n'utilisent encore que très peu la messagerie électronique. La communication entre les techniciens s'est fait davantage par email. Dioma a exprimé sa volonté d'explorer des nouveaux moyens de communication, notamment basé sur internet. Ainsi, il compte promouvoir l'utilisation de logiciels de messagerie instantanée et de voix sur IP, comme Skype, par exemple.

Depuis quelques années l'AProCA fait un effort pour renforcer les systèmes nationaux d'information, des diverses plateformes. La mise en place des points focaux, en fin 2006, représente le premier volet de cet effort. Le deuxième volet est celui de la formation: des sessions de formation pour toutes les personnes travaillant dans les points focaux ont été organisées entre septembre et octobre 2007; ces formations concernaient des techniques d'information et de communication, et également de maîtrise du cycle de l'information, à savoir l'enchaînement évolutif des activités d'identification de besoins, de collecte, de traitement, et de diffusion d'informations. Un troisième volet correspond au renforcement en termes d'équipements: en mai 2008 trois plateformes nationales (Sénégal, Benin et Cameroun) ont été équipés avec des ordinateurs complets fournis par l'AProCA.

Enfin, Dioma m'a parlé de l'importance de la communication au sein des institutions professionnelles agricoles de la filière cotonnière africaine, et les conditions préalables à son développement. Selon lui, l'accès à l'information est important non seulement pour appuyer la prise de décision par les agriculteurs (aspect économique) mais aussi pour engendrer une plus grande participation des producteurs aux activités de l'organisation professionnelle (aspect institutionnel). Ainsi, l'échange d'informations tend à renforcer les liens entre les membres de l'OP, ce qui facilite l'évolution de la gouvernance au sein de l'institution. Dioma nous rappelle que, participant aux échanges d'informations, "le producteur se sent impliqué", ce qui développe le sentiment d'appartenance à l'organisation. Et on sait combien ce dernier est fondamental pour le succès et la durabilité d'une institution.

En ce qui concerne les conditions préalables au développement d'un système de communication efficace, Dioma a été un de plus à réaffirmer la priorité de la structuration des organisations professionnelles agricoles. Selon lui, indépendamment des outils technologiques utilisés, la communication est une caractéristique résultante de la bonne structuration d'une organisation professionnelle. La technologie est là, selon lui, seulement pour rendre la communication plus rapide et fréquente.

* Il y a encore de dépenses sporadiques pour la production de contenu, surtout par des contrats avec des journalistes, pour la couverture d'évènements spécifiques.