Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

27 sept. 2008

Livre – Philippe Breton – L'utopie de la communication

Auteur : Philippe Breton
Titre : L'utopie de la communication
Maison d’édition : La Découverte
Année : 1997
169 pages
Mots clés: communication, information, connaissance, médias, individualisme

Philippe Breton fait dans ce livre une forte critique à l'utopie de la communication, un "courant de pensée qui, à partir des années quarante, fait de la communication l'axe central de réorganisation des sociétés" (p. 9). La première partie du livre est dédiée à la caractérisation de la communication comme "valeur", la deuxième à l'ancrage de la naissance de cette utopie au contexte historique de la première moitié du XXème siècle. La troisième et dernière partie regroupe les critiques proprement dites. Laissons claire dès maintenant qu'il ne s'agit pas de critiques à la communication en soi – tant que moyen d'expression des hommes, Philippe Breton la reconnaît comme fondamentale pour le développement et l'exercice de la démocratie – mais plutôt des critiques à l'excès de sa valorisation; il nous dit en conclusion: "le paradoxe qui est décrit dans ce livre est que trop de communication conduisait finalement à une remise en question de la démocratie elle-même" (p. 169). Dans ce petit article mon objectif n'est pas de faire un résumé de l'ouvrage, mais plutôt de souligner des passages qui m'ont fait réfléchir sur la notion de communication, sur l'ampleur de son influence sur la société et, finalement, sur quelques effets de l'excès cité par Philippe Breton.

Un contexte historique particulièrement favorable pour la naissance d'une nouvelle utopie

La dégradation de la valeur de la vie humaine se concrétise pendant toute la première moitié du XXème siècle lors du grand conflit qui regroupe la 1ère et la 2ème guerres mondiales. L'exécution des juifs dans des champs de concentration nazis et le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki sont des faits expressifs de cette barbarie moderne. La société d'après guerre est traumatisée et perdue[1], non pas simplement par le vécu du conflit mais par les horreurs rendus publiques à son terme. Le contexte est donc favorable[2] à l'émergence d'une nouvelle utopie. En particulier, on comprend mieux le rôle central attribué à la transparence dans cette nouvelle utopie quand on analyse l'importance du secret dans la mise en œuvre de la barbarie moderne[3]. "Face à la crise générale des valeurs, la communication va apparaître à la fois comme une nouvelle valeur, mais une valeur vide, non moraliste, puisqu'elle n'intervient pas sur le contenu des rapports entre les hommes" (p. 94).

Norbert Wiener: l'homme purement social et la communication comme arme contre l'entropie

Philippe Breton attire l'attention à la pensée du mathématicien américain Norbert Wiener, père de la cybernétique, que dans les années 1950 propose une nouvelle vision du réel: "le réel peut tout entier s'interpréter en termes d'information et de communication" (p 25), le mouvement d'échange d'informations est considéré comme "constitutif intégralement des phénomènes, aussi bien naturels qu'artificiels" (p 26). Dans cette vision, il n'y a pas de place pour l'intérieur des êtres, tout est à l'extérieur, et tout s'explique par les relations extérieures entre les êtres et les phénomènes. Wiener a proposé donc une représentation alternative de l'homme: détachée de la biologie (et donc supposée contraire à toute possibilité de développement du racisme[4]) et vidée de toute valeur intérieure: "(…) l'homme [comme] un être purement social, pilotant son destin rationnellement en fonction des contraintes externes plutôt que 'dirigé par l'intérieur' par des valeurs." (p. 98).

Partant d'un discours purement scientifique et extrapolant l'analogie avec la 2ème loi de la thermodynamique (de l'entropie), Wiener croyait que l'univers est un système clos, destiné à la destruction finale (quand l'entropie générale sera à son niveau maximale, en d'autres termes, quand la plus grande homogénéité possible sera atteinte). La portée sociale de cette vision se concrétise par la responsabilité de l'homme, vis-à-vis et de la société et de la nature, de faire "reculer localement l'entropie" (p 34), de lutter contre le "diable" du désordre avec, selon Wiener, son opposé: l'information.

Parenthèse sur la société de la communication

"Les hommes ont toujours échangé entre eux (…) Ils ont probablement toujours utilisé des 'techniques de communication', qu'elles soient matérielles ou intellectuelles. Dans ce sens, les sociétés humaines ont toutes et toujours été des 'sociétés de communication', et cette activité se présente comme une donnée anthropologique permanente. L'une des différences entre le passé et le présent est sans doute, depuis l'impulsion donnée par l'invention de l'écriture, puis de la rhétorique, le fort mouvement d'innovation dans ce domaine. L'autre différence est, bien sûr, la valeur sociale qu'on accorde aujourd'hui à ces techniques. (…) La communication fonctionne aujourd'hui de plus en plus systématiquement dans le discours social comme un recours universel, sinon comme le seul recours. Chaque problème trouverait ainsi une approche 'rationnelle' grâce à la 'communication' qui apporterait à la fois la 'transparence' dans l'analyse et le 'consensus' dans la solution." (p. 124-5)

Les effets pervers de l'utopie de la communication

Philippe Breton considère cette utopie de la communication irréalisable, mais non pour autant inoffensive. Voici de façon résumé de points intéressants de sa critique aux excès de valorisation de la communication.

La confusion entre information et connaissance: "L'un des troubles provoqués par les médias aujourd'hui est le fait que l'homme moderne croit avoir accès à la signification des événements simplement parce qu'il est informé sur eux" (p. 141). Breton parle de l'importance de l'"expérience vécue", que l'information "aussi bien faite soit-elle, ne peut pas restituer ou remplacer" (p. 141). Et comme "l'ignorance n'a pas de meilleur allié que l'illusion du savoir" (p. 141), les médias seraient en train de favoriser l'ignorance à propos du monde et non pas sa connaissance. Cette confusion entre accès à l'information et le développement d'une connaissance est présente aussi dans l'utilisation des multimédias pour l'éducation. Selon Breton, "le processus éducatif n'est pas d'abord une affaire d'accès au savoir, mais bien plutôt une manière de poser la question, fondamentale, du désir de savoir. Améliorer l'accès ne changera pas une virgule à la situation du désir de savoir qui doit animer l'élève" (p. 145). Et il dit même que cela pourrait engendrer un grand problème: "d'augmenter le faussé entre ceux qui sont dotés par la nature ou par l'environnement familial d'un tel désir, et ceux qui auront besoin d'un système éducatif attentionné pour le faire naître et l'entretenir" (p. 146). Breton parle également de "l’idolâtrie de l'outil" comme déviation de son utilité.

L'incontournabilité des médias: Breton dit que les médias "prétendent au monopole de la circulation de l'information entre les hommes" (p. 150), et que cela signifierait un danger pour la démocratie, car cette dernière "implique une maîtrise des moyens d'expression par ceux-là mêmes qui s'expriment" (p. 150). "Le message principal que les médias véhiculent aujourd'hui est l'importance de la communication comme valeur centrale autour de laquelle la société est censée s'organiser." (p. 152) Les médias exerceraient ainsi une contrainte invisible sur la société, caractéristique propres aux idéologies. Mais Breton rappelle que "l'impact des médias est relatif à la nature du lien social dans lesquels ils interviennent." (p. 152). A ce propos il conclut: "les médias, aujourd'hui incontournables, ne sont peut-être finalement, sous leur forme actuelle, qu'un aspect transitoire de l'activité humaine, directement lié à l'état singulièrement dépressif du lien social" (p. 152).

L'illusion du pouvoir libérateur de la communication: l'illusion ici est basée sur l'idée que "le seul fait de communiquer serait suffisant pour vivre harmonieusement en société" (p. 157). Or, Breton dit que "la communication ne peut jamais apporter un plus, une véritable nouveauté: son rôle se limite le plus souvent à réduire un désordre, à rétablir une situation. La communication est bien, sous quelque angle qu'on la prenne, une valeur réactionnelle" (p. 158).

Le risque d'un nouvel individualisme: d'un côté, la société de la communication rend publique, de façon de plus en plus trivial, des aspects de la vie individuelle avant considérés comme privés, ce qui entrainerait un renfermement des individus autour d'eux-mêmes. Selon Breton cela a une relation avec les modifications structurelles des familles: "Là où la famille élargie constituait un rempart contre une ingérence trop forte de la société globale et un lieu de développement d'une vie privée partagée, l'individu doit réinventer un espace de protection de ce qu'il est sans doute en droit de considérer comme strictement personnel. Cet espace, aujourd'hui, semble être fortement individualisé" (p. 155). De l'autre côté, la configuration d'une société "fortement communicante mais faiblement rencontrante", où l'individu est "à la fois phobique à la présence physique d'autrui, mais en même temps étroitement dépendant de sa présence virtuelle" (p. 161). Breton cite le commentaire de la psychologue Sherry Turkle à propos de la relation de quelques uns de ses patients et l'ordinateur, ce dernier "offre une compagnie dénuée du caractère menaçant de l'intimité avec autrui"[5]. Breton conclu que: "Ce néo-individualisme se vit comme extraordinairement communicant, mais c'est au prix de vider la communication de sa substance: la rencontre avec l'autre, la rencontre avec un univers qu'on a pas forcement choisi, la confrontation avec ce que l'on pourrait appeler, au sens fort, une surprise" (p. 161).

La montée de la xénophobie: l'individualisation du contenu et des services de communication engendrerait un recentrage de l'individu sur ses propres intérêts et serait propice au développement de la xénophobie: "cette mise à distance de l'autre et ce repli dans 'mon monde' portent en germe une forme nouvelle de xénophobie" (p. 163).

Le "déni systématique du conflit" (p. 164): l’extrémisme des actes de communication qui poursuivent un idéal d’harmonie absolue s’opposerait à toute forme de conflit. En pratique cela engendrerait la minimisation de la possibilité de critique : "La recherche de l’harmonie et du consensus, l’obsession de la positivité présuppose l’élimination systématique de toute forme d’expression critique" (p. 165).

La critique de Breton sur le monopole des médias sur la circulation de l'information serait peut-être à relativiser face au développement des outils de production collaborative de contenu (parfois appelés outils "web 2.0"). Néanmoins, force est de constater que l'utilisation de ces mêmes outils pourraient être vue comme une expression encore plus d'actualité du nouvel individualisme cité par Philippe Breton.

Pour finir une citation de l'introduction de l'ouvrage en question:
"Quelqu'un, un jour, me raconta l'histoire des deux amis qui se rencontrent. L'un demande à l'autre: 'ça va?', et l'autre, après l'avoir regardé, répond: 'Oh toi, ça va; et moi?' Voilà un bon résumé des effets pervers que génère la nouvelle utopie dans notre société: un homme sans intérieur, réduit à son image." (p. 12)
__________

[1] Philippe Breton nous dit que "la perte de points de repère, mais surtout l'idée selon laquelle les points de repères ne sont pas nécessaires pour l'action, témoigne d'une certaine façon de l'état de délabrement dans lequel se trouvent les sociétés d'après-guerre." (p. 93)

[2] Breton nous dit que "c'est parce qu'elle intervient dans une situation de vide à la fois sur le plan des valeurs et sur celui des systèmes de représentation politique, que l'utopie de la communication a connu progressivement un tel succès" (p. 93).

[3] Différemment des autres moments historiques semblables, "la barbarie contemporaine s'exerce au sein d'îlots bien délimités, cernés par un milieu resté dans l'ensemble civilisé et organisé. (…) On ne comprendra pas l'attrait que le thème de la transparence aura par la suite, si l'on ne se rappelle pas au préalable l'importance de cette connivence qui s'établi entre le secret et la barbarie moderne." (p. 77). Le génocide des juifs dans les champs de concentration, par exemple, a été tenu secret aux juifs (probablement pour faciliter le contrôle des autres prisonniers et même la capture des juifs vers les champs de concentration), aux Alliés, et également à la majorité de la population allemande, et même ceux qui connaissait la vérité la gardait comme un secret (peut-être craignant la réaction des propres partisans du système nazi face à l'extrême dégradation morale à laquelle le racisme les avait conduit).

[4] "Cet homme nouveau ne peut plus – à condition qu'il évolue dans une société de communication – être l'objet d'un quelconque racisme, puisque la race fait appel à la biologie et que la biologie n'a plus rien à faire avec ce nouvel homme-là." (p. 98)

[5] Sherry Turkle, dans le rapport: The National Information Infrastructure: Agenda for Action, repris dans le discours de présentation du vice-président Al Gore le 11 janvier 1994 devant l'Académie des arts et des sciences de la télévision de Los Angeles

19 sept. 2008

Article – Jacques Perriault – Imaginaire et intelligence territoriale

Auteur : Jacques Perriault
Titre : Evaluation des politiques d’intelligence territoriale : la contribution de quatre opérations pionnières dans le secteur de l’industrie de la connaissance.
Intervention dans le colloque "L'évaluation des politiques publiques en Europe : Cultures et futurs", session A : Evaluation des politiques de recherche, innovation et compétitivité, au Parlement Européen - Strasbourg, 3 et 4 juillet 2008
Année : 2008
Mots clés : intelligence territoriale, développement local, cognition, représentation symbolique, bien commun, opinion publique

Dans cet article, Jacques Perriault développe six notions liées à la dimension sociocognitive de l'intelligence territoriale: l'industrie de la connaissance, l'investissement sociocognitif, l'investissement symbolique, le bien commun, le couplage entre économie et culture, et l'opinion publique. Il illustre ces notions par des exemples de projets concrets dans la décennie 1990-2000. Je ne fais ici que souligner quelques passages indiquant l'importance de ces notions dans le déploiement de projets de développement local avec d'approches remontantes, et en particulier avec l'utilisation de technologies numériques. Je vous invite à lire l'article (qui fait seulement 6 pages), il est disponible ici.

Voici donc quelques points intéressants:

Citant la différence historique des approches français et anglo-saxon sur la relation entre le monde intellectuel et la technique, Perriault montre comment le terme "industrie de la connaissance" a influencé positivement l'évolution des activités du Centre National d'Enseignement à Distance. Le message ici est: "le choix des mots joue un rôle important dans l'intelligence territoriale, comme facteur de compréhension du projet et d'adhésion de la population." (p. 2)

La dimension sociocognitive est fondamentale dans un projet de développement car elle concerne la question des mentalités des acteurs, et donc de leur adhésion conscient au projet. Appliquant des concepts de Jean Piaget au développement local, le territoire peut être défini comme une entité susceptible d'apprendre, c'est-à-dire, "d'enclencher un processus d'apprentissage dont les habitants sont les acteurs" (p. 3). Citant l'exemple de projets de redémarrage économique de quelques vallées de Suisse italienne, Perriault nous dit que "les équipes sur le terrain chargés de la réflexion sur le développement sont constituées principalement par des habitants" (p. 3). L'objectif est de faire réfléchir la population sur une longue durée, "de façon à qu'elle arrive à considérer autrement l'espace dans lequel elle vit" (p. 3), lui attribuant un autre sens.

L'investissement symbolique, de son côté, se justifie car le symbole est un point de repère pour la construction et le maintien du sens d'un projet de développement donnée. "Le symbole joue un rôle déterminant dans le développement local, car il stabilise de façon durable le repérage du sens qui lui est donné dans un territoire, à une époque et dans un contexte" (p 3).

"(…) en matière de développement local, l'investissement se réparti en investissement économique, en investissement sociocognitif et en investissement symbolique. Contrairement au premier, le deuxième et surtout le troisième, le symbolique, ne coûtent pas cher. Il fonctionne comme catalyseur de l'investissement économique." (p. 4)

Sur le bien commun, Perriault dit qu'il "n'est pas défini par une loi ou par une norme; c'est un processus qui va du bas vers le haut, qui suppose le débat et la délibération au regard de ce qui semble juste et bien à la communauté" (p. 4). Dans ce contexte, on met en évidence aussi bien l'expérience individuelle de chacun et le processus d'établissement d'un consensus. Ainsi, Perriault nous dit: "gouverner en fonction du bien commun, c'est mettre en place une structure cognitive susceptible de créer de nouveaux concepts, de nouvelles idées en prenant en compte la plus value des différences individuelles" (p. 4). L'auteur parle encore de l'importance de l'implication de l'élu pour motiver la participation de la population dans la détermination du bien commun. "Le rôle de l'élu apparaît comme irremplaçable: il suscite la confiance de la population dans le succès de son projet, car il le porte, il le soutient auprès des autorités territoriales" (p. 5).

Même si l'opinion publique locale sur un projet est toujours présente en toile de fond, son influence est souvent sous-estimée. Perriault dit qu'elle est difficile à saisir car elle est souvent "latente et diffuse". Pour l'enquêter il faut: "la considération du terrain dans sa globalité, car il est impossible de déterminer a priori quels sont les leaders d'opinion qui vont jouer un rôle actif dans sa construction", et qu'elle conduise l'enquêteur "à comprendre comment fonctionnent les modifications d'opinion" (p. 6).

En conclusion, et à propos de l'appropriation des techniques numériques par la population dans des projets auxquels il a participé, Jacques Perriault dit que le début d'une pratique modifie sensiblement l'état de l'opinion, donc il vaut mieux faire attention à l'opinion publique dès le démarrage du projet. Selon lui, la "pratique de la machine (…) constitue un événement symbolique fort, dont le message est l'accès à la modernité" (p. 6). Sur l'enquête d'évaluation, il dit qu'elle doit considérer tous les "lieux susceptibles de produire de l'opinion" et s'attacher "aux modalités sociocognitives et symboliques qui rendent le changement acceptable" (p. 6).

Voici un ensemble de considérations à prendre en compte tout au long de l'accompagnement du projet de structuration d'un système d'information agricole en Afrique de l'Ouest dans le cadre de notre thèse.

11 sept. 2008

Visite au PRODAM II

Avec : Ibrahima Faye, responsable de planification et de suivi-évaluation du projet PRODAM II (Projet de Développement Agricole de Matam); Samba Ndiaye, consultant Foutanet; Abdnil Ndaye et Aïcha Thiam, animateurs du centre d'information d'Ogo
Quand : le 19 juin 2008
Où : PRODAM II, Matam et Ogo, Sénégal
Objet : les centres d'information supporté par le PRODAM II

Il n’est jamais trop de rappeler que la pérennité d’une initiative de développement dépend essentiellement de la cohérence entre ses objectifs et les besoins exprimés par la population concernée. Une façon d'assurer une réponse adaptée aux besoins locaux est d'intégrer le plus possible les acteurs locaux dans la conception et la mise en œuvre de cette réponse. C'est en respectant cette prémisse que se développent les centres d'information au sein du projet PRODAM II.

Les centres comptent avec une centre de documentation, des ordinateurs, une imprimante, parfois une photocopieuse et de plus en plus avec la connexion à internet. Le fonctionnement de chaque centre est assuré par deux animateurs, un homme et une femme, qui travaillent bénévolement pour permettre à la population locale de profiter des services comme l'accès à des informations pratiques (moyens de transport, prix de semence, etc.), la saisie de documents, des renseignements de santé (en langue locale), etc. Avant la mise en place des centres, les habitants de la région avaient besoin de faire de grands déplacements pour avoir de telles informations, ce qui pouvait le prendre toute une journée. Grâce à l'initiative des acteurs locaux, à l'aide du projet PRODAM II et au dévouement des animateurs, ces centres sont opérationnels et attirent de plus en plus d'utilisateurs.

Monsieur Faye nous rappelle que les acteurs extérieurs à la communauté doivent trouver un subtil équilibre entre engagement et désengagement, le premier pour montrer de l’intérêt, de la motivation; le deuxième pour faire preuve de respect et d'humilité. Face à un objectif sincère de développement local de la part des acteurs extérieurs, l'esprit pratique même suggère ce désengagement: l'appui extérieur ne peut ni doit se perpétuer. En bref, la participation active des acteurs locaux favorise leur appropriation des techniques et des méthodes, l'appropriation amène à l'autonomie par rapport à des acteurs extérieurs, et l'autonomie est la clé pour la pérennité du projet de développement local. Voici la recette qui essaient de mettre en place les membres du projet PRODAM II en partenariat avec des acteurs de la communauté, comme les animateurs bénévoles des centres d'information.

10 sept. 2008

Résumé de la thèse / PhD abstract

en Français (see below for English)

L'utilisation professionnelle des TIC par des agriculteurs de l'Afrique de l'Ouest, une approche culturelle

Depuis le début de 2008 une thèse de doctorat est en préparation au sein de la fondation FARM sur les aspects culturels qui influencent l'utilisation professionnelle des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs d'Afrique de l'Ouest. L'objectif principal de ce travail est d'analyser les conditions de mise en œuvre d'un système d'échange de connaissances entre des agriculteurs ouest-africains. La démarche communicative qui nous intéresse appelle à une participation active des agriculteurs et de leurs organisations professionnelles, pas seulement comme utilisateurs finaux, mais comme sources et relais des informations échangées. Le support technologique envisagé doit tenir compte des limites structurelles et financières de la réalité rurale ouest-africaine, sans pour autant ignorer la tendance de généralisation de l’accès aux technologies les plus avancées. Même faisant référence au support technologique, l'approche choisie privilégie l'analyse de l'influence d'aspects culturels sur l'efficacité de l'échange de connaissances. La question de départ de la problématique est la suivante: comment intégrer des aspects culturels, sociaux et cognitifs dans la configuration d'un système d'échange d'informations et de connaissances professionnelles agricoles en Afrique de l'Ouest, dans l'objectif de maximiser son efficacité? La thèse étudiera cette question pour un système d’information particulier, qui reste à déterminer. Il est envisagé, ensuite, d'appliquer un protocole de décentration pour vérifier si les conclusions sont généralisables, et selon quelle méthode, à d'autres pays en développement. Les résultats attendus sont un ensemble de suggestions pratiques pour l'adéquate prise en compte des aspects culturels dans la configuration de systèmes d'échange d'informations et de connaissances agricoles en Afrique.

Une mission a été réalisée en juin 2008 pour faciliter l’appréhension du contexte des systèmes d’information agricole en Afrique de l’Ouest. Cette mission a permis à la fois de confirmer l'intérêt pratique du questionnement de base de la thèse – l'échange de connaissances est un besoin exprimé par des agriculteurs et des organisations professionnelles –, et de constater une maturité insuffisante des systèmes d'information agricole existants pour permettre une analyse d'impact de la prise en compte des aspects socioculturels dans leur configuration. Les circonstances semblent suggérer plutôt l'accompagnement de la mise en œuvre d'un projet de structuration d'un système d'information agricole. La suite du travail de la thèse au sein de FARM consistera, d'un côté, à nourrir une discussion avec des partenaires du domaine du développement agricole, à partir des enseignements de la mission de juin, pour identifier l'initiative à être concrètement accompagnée sur le terrain. De l'autre côté, nous continuons la recherche bibliographique pour enrichir la problématique de la thèse.

_________

in English

The professional use of ICT by farmers in West Africa, a cultural approach

Since the beginning of 2008 a PhD is been prepared within FARM foundation about the cultural aspects which influence the professional use of information and communication technologies (ICT) by farmers in West Africa. The main objective of this work is to analyze the implementation conditions of a knowledge exchange system among farmers in West Africa. The communicative practice that interests us is based on an active participation of farmers and of their professional organizations, not only as end users, but also as sources and relays of the information exchanged. The technological platform envisaged must take into account the structural and financial constraints of West Africa rural reality, without ignoring the trend of growing access to the most advanced technologies. The chosen approach for the PhD gives priority to the analysis of the cultural aspects influencing knowledge exchange efficiency. The research problem may be stated as follows: how to integrate cultural, social and cognitive aspects into the configuration of an agricultural knowledge and information exchange system in West Africa, in order to maximize its efficiency? A specific information system, still to be identified, will be the core example for the PhD. At the end, the conclusions put forward will be analyzed to determine to what extent, and following which methods, would they be applicable to other developing countries. The expected results are practical suggestions on how to take into account cultural aspects in the configuration of agricultural knowledge and information exchange systems in Africa.

In order to facilitate the apprehension of the agricultural information systems' context in West Africa, a search mission took place in June 2008. It confirmed that the theme of the PhD is worthwhile – knowledge exchange is an expressed demand of farmers and professional organizations. In the order hand, this search mission showed us that the agricultural information systems in place are not enough developed to allow the analysis of cultural influence in their configuration. Circumstances seem to suggest that, instead of trying to do such analysis for an established system, it would be necessary to study the cultural influence during the implementation of such a system. Based on the lessons learned in the mission of June, the next step in our research will be to discuss with partners of the agricultural development domain in order to identify the project which should be followed on the ground. Additionally, a bibliographical research is been done to enrich the understanding of the research academic context.

4 sept. 2008

Rdv skype avec Amadou Diop

Avec : Amadou Diop, responsable de la communication à l'ASPRODEB*
Quand : le 3 septembre 2008, de 10h30 à 11h30
Où : par skype (moi à Paris, lui à Dakar)
Objet : utilisation de la radio rurale dans le réseau ASPRODEB et une habitude difficile à contourner des relais en communication

Le planning de communication du projet PSAOP* inclue la radio rurale comme moyen stratégique de diffusion d'informations aux agriculteurs sénégalais. Dans la composante OP, les relais en communication ont été orientés à chercher des radios locales à partir desquelles des émissions destinées aux agriculteurs pourraient être diffusées. L'idée initiale était de donner préférence aux radios locales, mais une bonne partie d'elles a un rayon de diffusion très limité (entre 15 km et 60 km) pour couvrir toute la région d'un CRCR donné. Les relais en communication proposent des stratégies diverses: il y a ceux qui passent des contrats avec une radio régionale, qui ont un rayon de diffusion suffisant pour couvrir toute la région en question, d'autres qui proposent des émissions synchronisées dans plusieurs radios locales. Les propositions sont assez bien avancées dans huit des CRCR. Néanmoins, l'utilisation prévue reste exclusivement dans le sens de la diffusion d'informations, et on connaît les problèmes de moyens auxquels doivent faire face les radios rurales existantes: Amadou donne l'exemple d'une radio fondé en 2001 et que par manque de moyen ne fonctionne aujourd'hui que pendant six heures par jour, et cela grâce au bénévolat des responsables.

Jusqu'à maintenant les différents composantes du PSAOP ont eu des fonctionnements très indépendants une des autres. Amadou veut proposer une harmonisation entre les cinq composantes du projet, pour établir une stratégie de communication unique pour le PSAOP. Cela permettra, par exemple, la production d'émissions radio en commun entre composantes. La composante responsable par le conseil agricole, dirigé par l'ANCAR, développe actuellement un système d'information technique agricole (appelé SITAR) qui sera mis à disposition des utilisateurs à travers une plateforme sur internet. Amadou parle de la possibilité d'intégration des émissions radio avec le SITAR, de façon à promouvoir les échanges et la diffusion des conseils agricoles proposés par l'ANCAR.

Amadou a fait un commentaire sur l'environnement de travail à l'ASPRODEB qui me semble particulièrement intéressant pour la thèse. Il a dit que quelques personnes semblent se permettre moins de formalité et moins de précision dans l'exécution de leur fonction en raison de travailler dans un contexte agricole. Selon lui l'évocation du monde rural introduirait plus d'indulgence, plus de l'informel, plus d'un "laisser aller" dans la logique de travail. Amadou ne voit pas en cela un aspect culturel, car, selon lui, si c'était culturel on devrait le trouver au fil du temps et dans tous les contextes. Or, il dit qu'une même personne qui agit de façon relativement informelle dans le contexte agricole, agirait tout différemment dans un contexte d'entreprise urbaine par exemple, adoptant une posture plus rigoureuse face à ses obligations dans ce dernier cas. La liaison suggérée par Amadou entre ce manque de rigueur, de formalité, et le monde rural mérite certainement plus de réflexion. Peut-être qu'une question culturelle sous-jacente au comportement cité par Amadou soit en jeu indépendamment du contexte; peut-être c'est une question de perception affaibli de contrôle des salariés qui travaillent à distance par rapport à leurs superviseurs, comme les relais en communication… à creuser.

* pour plus d'informations voir l'article "Le CNCR, l'ASPRODEB et le PSAOP" dans ce blog.

1 sept. 2008

Entretien avec Mamadou Diarra

Avec : Mamadou Diarra, chargé de projets à l'ONG GRDR (Groupe de recherche et de réalisation pour le développement)
Quand : le 28 août 2008, de 14h30 à 15h
Où : FARM, Paris
Objet : le GRDR et l'échange d'informations agricoles en Afrique de l'Ouest

Mamadou Diarra m'a parlé un peu de l'histoire du GRDR (je vous invite à découvrir un aperçu de cette histoire sur leur site) et des projets soutenus par cet ONG au long du fleuve Sénégal, au Mali, en Mauritanie, et au Sénégal.

Pour l'instant ils ne soutiennent pas un grand nombre de projets dans le domaine de l'utilisation des TIC ou de l'échange d'informations agricoles. Le GRDR est néanmoins membre d'une radio local au Mali et des émissions sont organisées pour informer des agriculteurs sur des prix agricoles.

Dans l'aspect socioculturel, Mamadou avance une préoccupation des agents de développement sur le terrain qui mériterait une analyse plus profonde: la résistance des agriculteurs ouest-africains contre les innovations méthodologique ou technologiques. A part les risques inhérents à l'innovation qui doivent être réduits pour que l'agriculteur pauvre accepte d'innover (voir à ce sujet l'article sur ce blog à propos du livre "Le génie de l'Inde", de Guy Sorman, surtout le passage sur "la résistance de la pauvreté face à l'innovation"), Mamadou nous parle d'une inertie et d'une méfiance qui mettent en question l'efficacité des projets pilotes à caractère démonstratif. Il nous a parlé, par exemple, d'agriculteurs qui, même face à des faits accomplis et à de démonstrations factuelles de l'efficacité d'un technique donnée, restent sceptique et n'acceptent pas d'adopter l'innovation. Mamadou croit qu'une stratégie de communication adéquate envers les agriculteurs pourrait augmenter leur taux d'adhésion aux innovations.

Mamadou s'est montré intéressé par la thèse et disposé à participer à nos réflexions. Nous garderons contact.

Réunion avec JMB et BB

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse, et Bernard Bachelier, tuteur professionnel pour la thèse
Quand : le 27 août 2008, de 14h à 16h
Où : FARM, Paris
Objet : constats et enseignements de la mission de juin 2008

Monsieur Blanchard croit que l'aspect innovant de la thèse est son approche culturelle. Il est d'accord avec l'importance des trois aspects socioculturels constatés lors de la mission de juin, à savoir, (1) la disposition naturelle des agriculteurs africains à l'échange et leur volonté d'échanger d'avantage, (2) l'importance de l'oralité dans leur communication, et (3) l'attachement de la nouvelle génération au monde rural (voir l'article des constats pour des détails).

Monsieur Blanchard ajoute deux aspects culturels qui pourraient être pris en compte dans l'analyse:
  • le lien communautaire ouest-africain comme vecteur de communication: Monsieur Blanchard parle d'une "solidarité contrainte" qui caractériserait les relations entre les personnes dans une même famille ou dans une communauté. Cette solidarité ne serait pas toujours spontanée, mais plutôt une contrainte culturelle basée sur les valeurs de la reconnaissance de la famille et du respect par les plus âgés. Ainsi, par exemple, dans une famille où le père agriculteur reste dans un village et les fils partent faire leurs vies dans des villes, les fils ont l'obligation à la fois de prendre de nouvelles de leur père et de répondre à ses sollicitations. Non rare ce sont les fils qui équipent leur père avec un téléphone portable et qui lui achètent du crédit pour qu'il puisse utiliser le téléphone. Un flux de communication est donc établi entre les villes où sont les fils et le village où est le père.

  • le décalage de valeurs entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe et l'influence de la technologie dans les changements des valeurs: Monsieur Blanchard témoigne des similitudes de quelques valeurs et habitudes présentes dans la campagne ouest-africaine actuellement et celles qu'il a vécu dans son enfance dans la campagne française. Le développement graduel de la technologie et son utilisation dans le milieu agricole européen ont, selon lui, influencé le changement d'habitudes et de valeurs pour forger la société européenne actuelle. En Afrique, l'emploi de la technologique se développe dans une période beaucoup plus courte et il lui semble légitime de se demander comment cela va influencer des changements d'habitudes et de valeurs des agriculteurs africains.

Monsieur Blanchard a encore suggéré le contact avec l'ONG IICD (International Institute for Communication and Development), et avec des sociologues africains avec une bonne connaissance du terrain.

D'autres points abordés en présence de Bernard Bachelier ont été: l'importance de la création locale de contenu pour que l'offre soit véritablement adaptée aux besoins locaux, et la potentialité des modèles d'affaires basés sur des services payants. Sur ce dernier point, Monsieur Blanchard dit que les africains sont très pragmatiques et qu'ils sont près à payer pour une information ou un service qui leur augmentent les chances de gain économique.