Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

27 oct. 2008

des besoins étrangers

Voici une citation intéressante!

"L'un des obstacles au développement du Tiers-monde, c'est la propagation internationale des "besoins" qui se manifestent dans les pays riches, lesquels induisent, par la publicité, l'image ou le récit le désir d'imitation dans les pays moins "avancés" et détournent vers la consommation une partie des ressources qui auraient pu être consacrées à des investissements productifs."

Lê Thành Khôi, dans "Culture, créativité et développement", Paris, L'Harmattan, 1992.

Référence: Ken LOHENTO (2003). Usages des NTIC et médiation des savoirs en milieu rural africain: études de cas au Benin et au Mali. Mémoire de DEA dirigé par Jacques Perriault, Université Paris X - Nanterre.

Réunion besoins en information 22oct08

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse; Cecilia Bellora, chef de projet politiques agricoles à FARM; et Mathilde Douillet, chef de projet vivrier à FARM
Quand : le 22 octobre 2008, de 15h à 16h30
Où : à FARM
Objet : caractérisation des agriculteurs, de leurs activités et hypothèses sur leurs besoins en information

L'objectif de cette réunion était de discuter plus longuement la question de la caractérisation des informations pertinentes pour les agriculteurs africains. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans la formulation d'hypothèses sur les besoins en information des agriculteurs. Ces facteurs témoignent de l'importance d'aspects économiques mais aussi socioculturels dans cette analyse.

Dans la logique de centrer la recherche sur l'agriculteur et de tenter saisir ce qu'il a à l'esprit (ce qu'il fait, ce qu'il veut), voici quelques points de réflexion:

Il faut comprendre la structure et la dynamique des exploitations agricoles en question. Il serait donc intéressant d'étudier les typologies d'exploitations pour mieux comprendre la disposition et la répartition des moyens de production (dans l'espace et dans le temps), car de cette dynamique naissent les besoins en informations professionnelles. Ces typologies sont des grilles d'analyse qui aident à caractériser les exploitations de façon plus ou moins objective. Même étant important de faire attention aux limites de ces grilles face aux spécificités locales, les typologies sont un bon point de départ dans l'effort de caractérisation des exploitations agricoles. Dans ce sens, Cecilia et Mathilde m'ont suggéré la lecture de quelques articles du "Memento de l'agronome" et d'exemples pratiques dans le livre "Agricultures et paysanneries des Tiers mondes", de Marc Dufumier.

Essayant de lister des besoins probables en information des agriculteurs, on trouve facilement une première catégorisation: d'un côté des informations d'ordre personnel (nouvelles de la famille, réseau social non professionnel, etc.), et de l'autre côté des informations professionnelles. Ces dernières peuvent être liées à:
  • la production: informations sur les intrants (fournisseurs, prix, délais), des prévisions météorologique, des conseils techniques (d'intérêt général, spécifiques sur une culture, ou plus encore, personnalisés);
  • la commercialisation: sur les intermédiaires, sur les prix dans les divers marchés pertinents, sur le transport des produits jusqu'aux marchés (état des routes, coût associé au transport);
  • l'organisation professionnelle: sur des activités institutionnelles (réunions, assemblées), sur des projets et institutions d'aide au développement (éligibilité et comment en bénéficier);
  • le financement: information sur le crédit et l'assurance, auprès des fournisseurs d'intrants et auprès d'une IMF (institution de micro finance)

Il faut intégrer des informations stratégiques pour la prise de décision aux caractéristiques propres de l'exploitation. Par exemple: au moment du choix de quel produit cultiver, des informations prévisionnelles sur l'offre et la demande (basées sur l'historique de production et des prix dans la région, et sur les tendances des marchés en question), d'une nature beaucoup plus volatile et incertaine que les informations techniques propres aux ressources de l'exploitation, s'ajoutent à ces dernières dans l'analyse des contraintes et opportunités pour la campagne en cours.

Il est difficile de généraliser les besoins en information des agriculteurs, ces besoins sont très spécifiques dans le temps (moment du cycle cultural), par rapport à la culture en soi (produit agricole cultivé), et par rapport au contexte de production. Il est très important d'être proche du terrain dans la définition de ces besoins. Les OP pourraient peut-être jouer ce rôle (elles les font déjà dans certains cas), mais il faut faire attention à l'écart qui peut exister entre l'intérêt des leaders des OP et les besoins effectifs des agriculteurs représentés.

Plusieurs facteurs viennent complexifier l'analyse des besoins en information dans le cas des petites exploitations agricoles africaines. Quelques uns de ces facteurs adviennent du fait que, dans la grande majorité des cas, les exploitations ne sont pas (et n'ont pas eu la condition de l'être jusqu'à présent) structurées comme des entreprises. On peut constater cela par l'absence d'une dynamique structurée de réinvestissement productif, mais aussi par l'absence de salariés et par une forte superposition entre les sphères professionnelle et familiale. Des facteurs socioculturels et économiques sont imbriqués, par exemple, dans le mélange des dépenses et recettes de l'exploitation et de la famille dans une seule trésorerie. Un autre facteur: les produits des petites exploitations peuvent normalement être commercialisés dans plusieurs marchés, ces marchés ne sont pas en règle générale harmonisés entre eux. Dans ce contexte, l'information commerciale est d'autant plus spécifique et difficile à obtenir de façon fiable.

La promotion de l'accès à l'information économique implique des questions de pouvoir. Avec un marché plus transparent, il y a moins de place pour la spéculation. Le pouvoir de négociation du producteur bien informé augmente face à l'intermédiaire. Si d'un côté le bénéfice pour le producteur est clair (sa marge de bénéfice augmente), de l'autre côte on pourrait imaginer que la perte de pouvoir relatif dans la négociation serait mal reçue par les intermédiaires. Pourtant, Monsieur Blanchard a attiré notre attention au fait que souvent les intermédiaires perçoivent la transparence également du côté positif, et cela surtout grâce à la réduction de risques – avec un système plus transparent les intermédiaires peuvent mieux planifier leurs activités et récupérer la marge de bénéfice perdue par rapport à la situation de manque de transparence.

Quelques suggestions:
  • organiser une nouvelle réunion pour faire la point d'avancement académique dès que le travail de cadrage soit prêt et envoyé au directeur de thèse;
  • lire le préface et l'introduction du livre "Histoire des agricultures du monde", de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart;
  • lire des exemples de typologie d'exploitation agricoles dans le livre "Agricultures et paysanneries des Tiers mondes", de Marc Dufumier;
  • consulter le Memento de l'agronome.
*

Rdv avec Shabnam Vaezi

Avec : Shabnam Vaezi, maître de conférence à Tours
Quand : le 08 octobre 2008
Où : à la BNF
Objet : orientation pour la thèse

Shabnam a été très sympathique avec moi et m'a orienté de façon informelle sur l'organisation de mon travail de thèse et sur la dynamique d'interaction avec le directeur de thèse. Elle m'a également suggéré l'utilisation de quelques bases de données avec des articles scientifiques dans le domaine des sciences de l'information, comme par exemple FRANCIS.
Surtout il a été important pour moi de mieux comprendre l'intégration des théories de référence dans le travail. Une séquence simplifiée du travail de la thèse que me semble cohérente et qui m'a été rappelé par Shabnam est la suivante:
  • définir une problématique bien basée sur une théorie de référence;
  • se renseigner sur l'état de l'art de la question (tour des travaux scientifiques déjà réalisés dans le domaine);
  • faire évoluer la problématique (en l'adaptant par rapport à l'état de l'art de la question);
  • définir la méthode de travail de terrain;
  • réaliser le travail de terrain;
  • analyser les résultats.
Elle m'a également rappelé de l'importance d'écrire! dès le début de la thèse.
Merci encore Shabnam!

20 oct. 2008

Article – BOULLIER, 2001

Auteur : Dominique Boullier
Titre : Les machines changent, les médiations restent*
in: Actes du colloque "La Communication médiatisée par Ordinateur: un carrefour de problématiques", Université de Sherbrook: 15-16 mai 2001
Année : 2001
Mots clés : CMO, médiation, appropriation

Tout d'abord je voudrais citer les trois postures dans la recherche en communication médiatisée par ordinateur (CMO) qui sont indiquées par Boullier. La première est liée directement à la prolifération de formes techniques et se résume à une description des changements des outils techniques, ce qui donne un résultat valable à très court terme et donc d'intérêt limité pour la recherche scientifique si vue de façon isolée. Ensuite, une deuxième posture est basée sur la sélection de technologies à prendre en compte, ce qui, selon Boullier, est légitime, même qu'il soit difficile de justifier le choix d'une forme technique particulière en détriment des autres. Enfin, la troisième posture serait la formulation par essence, où on essaie de construire des "véritables objets scientifiques", c'est-à-dire qui soient indépendants des variations observables des objets matériels. Dans ce dernier cas, on cherche à rendre compte des processus qui structurent les phénomènes de communication à travers la technologie. Le danger là c'est d'établir des raisonnements stimulants intellectuellement, "mais peu fondés dans l'observation empirique de la technique elle-même".

Selon Boullier, c'est une composition entre les postures qui donnera cohérence à la recherche à la fois du côté théorique que du côté pratique. Ainsi il suggère de "s'obliger à définir les traits de ce que l'on découpe a priori dans le monde comme son champ d'étude afin de le construire comme un objet. (…) Il faut à la fois parier sur une définition provisoire, qui a vocation à être révisée, et en même temps tenir compte des catégories ordinaires des acteurs en situation."

"Le travail de définition provisoire doit nous permettre de comparer (d'où l'utilité de la prolifération, des histoires, des inventaires, des contextes repeuplés) (le local) de fonder, de trouver des points de passage entre tous ces objets en nous entendant sur les processus qui mettent en forme cette opération, d'où l'utilité de discuter sur les 'essences' (l'universel)."

Boullier dit qu'il faut rendre l'aller-retour entre le local et l'universel dynamique et heuristique.

Cela dit, et avant de suggérer des paramètres de caractérisation des acteurs, Boullier nous parle des écarts qui existent entre les termes du discours de "l'idéologie du réseau" et ceux d'une théorie critique. Il justifie cette préoccupation en parlant de l'influence des discours sur l'usage et les attentes, car, selon lui, "les techniques sont parlées, et elles sont toujours parlées avant d'être manipulées". Voici donc quelques simplifications maladroites induites par l'idéologie du réseau:

Explicitation au lieu de Tacite et implicite
Calculabilité au lieu deIncertitude
Mémoire au lieu de Oubli
Connaissances au lieu de Ignorance
Multimédia intégré au lieu de Sélection et combinaison
Standardisation au lieu de Adaptation au contexte
Univocité au lieu de Ambiguïté
Compréhension au lieu de Malentendu
Efficacité / performance au lieu de Ratage
Intuition au lieu de Médiations et conventions
Partage au lieu de Conflit
Personnalisation au lieu de Marques culturelles
Individu au lieu de Cercles sociaux
Communautés au lieu de Instabilité
Réseau au lieu de Institutions

Finalement, Boullier parle de l'identification et de la caractérisation des entités sociales pertinentes participantes de la CMO. Il affirme tout d'abord qu'elles ne sont pas identifiées a priori, mais plutôt "positionnées en cours d'action par les programmes, par les machines, par les responsables des services, par les acteurs ordinaires eux-mêmes". En plus, il dit que toute cartographie ou caractérisation des entités sociales pertinentes est indicative, et n'est jamais définitive. Selon Boullier, il faut "partir de l'incertitude sur la nature des participants dans toute situation de CMO pour comprendre le travail propre de la médiation, ce qu'elle va transformer et faire exister".
Il suggère ensuite des critères et des paramètres pour décrire les entités pertinentes en cours de construction (je ne cite ici que ceux qui m'ont plus attiré l'attention):
  • de la nature des acteurs: "ne pas trop rapidement séparer ce qu'il en est des humains et des machines" car "des entités mixtes existent";
  • des modes d'engagement et de coordination des acteurs (tenir compte de la diversité des attachements);
  • des régimes d'action des acteurs (ne pas s'appuyer sur une catégorisation entre "novices" et "experts", mais essayer de comprendre la dynamique des modes d'action des acteurs) – voir les modes dans l'article (modes replié automatique, replié familier, replié opportuniste, déplié avec explicitation, déplié avec tradition, et déplié avec négociation);
  • le degré d'extension (pour chaque acteur) de l'univers supposé partagé: avec qui, parmi les personnes de son réseau, l'acteur peut être en contact à travers la technologie? comment ils se voient représentés dans ce monde virtuel? **
"(…) il est nécessaire d'avoir des correspondants pour pouvoir échanger: les pionniers dans une catégorie sociale doivent essuyer les plâtres et constatent alors que cet univers n'est pas si partagé et peuplé qu'on le dit car aucun de leur semblables, ou tout au moins de proches, n'est connecté, dans un premier temps."
  • des divers statuts des acteurs: leader, intermédiaire (à l'intérieur d'une communauté, entre communautés), exploitant d'information, source d'information, etc. (en faisant attention à la dynamique, au changement de statut des acteurs).

"L'extériorité de la technologie" me semble une expression à retenir et à utiliser dans l'analyse de l'appropriation des TIC par les agriculteurs ouest-africains. Cette notion reflète le niveau d'appropriation de la technologie par l'usager. Pour la majorité des agriculteurs africains, qui n'ont pas encore eu un grand contact avec les TIC, par exemple, ces dernières ne sont ni naturelles, ni évidentes. On dirait donc que l'extériorité des TIC pour les agriculteurs africains reste forte – ils n'ont pas encore intériorisé quelques outils techniques dans leurs démarches de communication. La réduction de l'extériorité des TIC, dans le mode d'interaction des usagers avec la technique, peut donc être vue comme un indicateur d'appropriation.

"L'inventaire des médiations techniques ne suffit pas puisqu'il faut être en mesure de dire comment les acteurs leur attribuent ou non des statuts de médiations et à quelles conditions de félicité." De cette phrase on peut inférer que citer les voies d'accès des agriculteurs à l'information simplement ne suffit pas, il faut comprendre le rôle qu'ils attribuent à chacune des voies et les conditions pour qu'elles soient efficaces dans la médiation de l'échange.

Boullier conclut son article disant que la recherche dans le domaine de la CMO doit se concentrer dans la compréhension de l'alignement (Antoine Hennion) nécessaire entre les diverses médiations pour qu'elles soient le plus facilement appropriables par les usagers. L'idée serait de "repérer comment se 'naturalisent' certains montages grâce à la cohérence de leurs dispositifs".

__________
* Article consulté en ligne le 13 octobre 2008, ici.

** "Le 'fossé numérique' prend des formes plus variées qu'on ne pense et il est avant tout fait de diversité culturelle."

pistes à explorer:
  • B Bachimont, 1999 (selon Boullier, pour "montrer comment les supports des connaissances formatent mais aussi font émerger des connaissances")
  • Jean Gagnepain, 1994 (selon Boullier, travaux "sur notre compétence technique", un repère théorique vraiment élaboré en sciences humaines)
  • Gilbert Simondon, 1969 (selon Boullier, travaux "sur notre couplage avec les machines", un repère théorique vraiment élaboré en sciences humaines)
  • Boltanski et Chiapello, 1999 (selon Boullier, montrer comment "l'idéologie du réseau" est percolé chez les utilisateurs)
  • Bruno Latour, 1994 (selon Boullier, "le modèle de l'acteur-réseau de Callon et Latour permet d'ailleurs de tenir compte d'un enrôlement de tous les acteurs possibles en cours de projet ou d'action, sans que l'étendue du réseau soit a priori elle-même délimitée.")

Entretien avec Michel Puech

Avec : Michel Puech, philosophe
Quand : le 16 octobre 2008, de 15h30 à 16h30
Où : à la Sorbonne
Mots-clés: TIC, appropriation, culture, éthique

Dans cette discussion avec le philosophe Michel Puech, on a abordé la question de l'appropriation des TIC dans un contexte culturel différent. On a discuté sur la dynamique d'appropriation, sur l'importance de la compréhension des besoins et de la vision du monde de l'utilisateur potentiel, sur l'intérêt ou la nécessité d'intermédiaires dans l'utilisation des TIC par des agriculteurs, et finalement, sur des questions éthiques liées à l'influence culturelle.


Deux phases d'appropriation

Puech suggère que le processus d'appropriation des TIC a deux phases distinctes. La première est une phase d'amorçage, où il faut franchir la barrière d'apprentissage (la barrière d'appropriation) qui sépare les utilisateurs potentiels d'un côté, et les TIC de l'autre. Probablement il aura une dimension pédagogique à explorer pour franchir cette barrière culturelle dans le cas des agriculteurs ouest-africains. C'est seulement après que cette phase est franchie qu'il y a la possibilité d'atteindre la maitrise partielle et la manipulation autonome des TIC, une phase dans laquelle les utilisateurs adaptent l'usage des TIC de façon indépendante et innovante, selon leurs propres besoins spécifiques. Un exemple ce sont les jeunes qui commencent par utiliser des blogs avec les fonctionnalités standardisées et que dans la suite s'engagent dans l'apprentissage d'un langage de communication spécifique qui leur permettra d'adapter et créer des nouvelles fonctionnalités selon leurs propres intérêts.


"Entrer dans la culture"

Puech considère qu'avant de faire de propositions sur l'utilité des TIC dans un contexte donné, il faut tenter "d'entrer dans la culture" en question. Il faut comprendre ce qui l'usager potentiel a à l'esprit, ce qu'il fait et ce qu'il veut. Des propositions artificielles et "étrangères" à la réalité locale risquent toujours d'être reçues comme soumission (technique ou culturelle), ce qui engendre un comportement défensif de la part des locaux et donc contraire à l'appropriation. "Il faut prendre des gens comme ils sont".


La transparence et les intermédiaires, enjeux de pouvoir

Si les TIC sont accessibles à tous de façon transparente (c'est-à-dire, l'usager l'utilise sans se demander ni savoir comment elles fonctionnent), et comme il y a toujours le risque de panne, une dépendance chronique des utilisateurs vis-à-vis des experts s'installe. Si au contraire les TIC sont de plus en plus maitrisées par les utilisateurs, minimisant cette dépendance, le pouvoir technique des ingénieurs et des experts en informatique est mis en question. Il y a donc des enjeux de pouvoir à prendre en compte dans la stratégie et/ou l'évolution de l'appropriation des TIC.
Ceci dit, dans une bonne partie des cas envisagés et au moins à court et moyen terme, les agriculteurs eux-mêmes n'auront pas accès direct aux TIC – des intermédiaires probablement assureront le dernier maillon dans les échanges d'information. Ainsi, Puech parle de la création "d'élites intermédiaires", qui s'approprieraient les TIC et serviraient d'intermédiaire pour faire les agriculteurs bénéficier des informations échangées grâce aux TIC. D'un côté, cela réduit le nombre de personnes qui devraient être "converties" au monde des TIC pour assurer une utilisation pertinente de ces technologies. De l'autre côté, cela pose la question de la relation entre cette nouvelle élite et les agriculteurs, avec de nouveaux enjeux de pouvoir à prendre en compte.
Dans cette analyse de la transparence et des intermédiaires Puech attire l'attention au fait que nous occidentaux sommes souvent obsédés du cognitif, et qu'on aurait tendance à valoriser et/ou à promouvoir une appropriation profonde des TIC par tous les utilisateurs potentiels. Puech dit qu'il faudrait remettre en question cette obsession du cognitif, et se demander de façon pragmatique quel est l'intérêt dans le cas des agriculteurs ouest-africains: la compréhension complète du fonctionnement des TIC, ou leur utilisation pratique pour l'obtention de résultats concrets? Cela rejoint la préoccupation de répondre à des besoins des agriculteurs en information et en communication et non pas de penser l'utilisation des TIC comme une fin en soi.


Influence culturelle, une question éthique

Partant de l'évidence que, pour notre culture et vision actuelle du monde, l'utilisation des TIC peut être bénéfique à la dynamisation des échanges d'informations entre les membres d'un groupe, on considère légitime ainsi la considérer également pour des agriculteurs en Afrique de l'Ouest. L'action de promotion de l'utilisation des TIC demanderait ce que Puech nomme une "optimisation culturelle" des agriculteurs ou des intermédiaires. Tout de suite une question fondamentalement éthique se pose: avons-nous le droit de modifier la culture de l'autre? Une autre question de même genre mais plus spécifique: promouvoir l'utilisation des TIC par une parcelle de la population qui jouerait le rôle d'intermédiaires par rapport à la majorité des agriculteurs n'est pas créer ou promouvoir des inégalités?
Selon Puech, il faut d'abord assumer le fait que notre système de valeurs est "destructeur" des autres cultures. Selon lui la seule possibilité qu'une culture reste inchangée par rapport à la nôtre est de ne pas entrer en contact avec cette dernière. Les facilités et les conforts développés dans notre culture auraient un pouvoir irrésistible d'attraction. Il exemplifie cela disant qu'il est "impossible" de continuer à faire de l'arc et de la flèche après connaître le fusil. Il faut donc prendre conscience de cette influence qu'on aura dans les autres cultures lors qu'on essaie d'aider une société quelconque dans son processus de développement.
Ensuite, Puech dit que notre éthique nous donne une certaine liberté d'action et d'influence dépendant de notre objectif dans l'action: si l'objectif était de vendre des TIC aux paysans, la démarche de promouvoir l'utilisation des TIC ne serait pas en accord avec notre éthique; mais si l'objectif est d'aider les agriculteurs à augmenter leur sécurité alimentaire, d'améliorer leurs conditions de vie, en bref, dans leur propre intérêt, on peut se permettre d'influencer leur culture, même si cette influence engendre la dégradation de quelques aspects de leur culture originale.
Finalement Puech parle de "transaction évolutive" pour caractériser le contact entre cultures. Il aura toujours des gains et des pertes liés à l'influence d'une culture sur une autre. Cela caractérise une transaction dans le sens qu'il doit exister une négociation et une prise de conscience par rapport à l'influence. Un point fondamental est qu'il faut considérer, au-delà de l'aspect matériel, l'aspect symbolique des gains et surtout des pertes liées à cette transaction.

8 oct. 2008

Réunion point d'avancement à FARM 07oct08

Avec : Thiendou Niang, membre du conseil scientifique de FARM; Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse; Bernard Bachelier, tuteur professionnel pour la thèse; Cécilia Bellora, responsable politiques agricoles à FARM; Mathilde Douillet, responsable projet vivrier à FARM; Bruno Martin, webmaster à FARM. Excusés: Claude Meyer, directeur de la thèse; Michel Petit, président du conseil scientifique de FARM, Alain Retière, membre du conseil scientifique de FARM; Billy Troy, responsable eau à FARM; Denis Herbel, responsable coton à FARM.
Quand : le 07 octobre 2008, de 15h à 17h
Où : FARM, Paris
Objet : point d’avancement de la thèse, discussion sur l'orientation

Cette réunion a été une occasion privilégiée de recevoir des critiques constructives sur le travail réalisé jusqu'à présent dans la thèse et sur son orientation future. Je tiendrais à remercier la participation de tous. La discussion m'a amené à constater des vices et des hypothèses cachées dans le raisonnement développé originalement. Voici de façon résumé les commentaires et suggestions:

  • se détacher de la vision d'ingénieur et faire attention au vocabulaire utilisé. Par exemple, éviter l'allusion à des termes comme "configuration" (dans la question de départ) et même "système d'information", qui connote une vision techniciste.
  • réfléchir sur l'expression "appropriation des TIC", il y a le risque qu'on l'interprète comme si on insistait sur une intention de faire les agriculteurs adhérer à tout prix aux TIC.
  • centrer la recherche sur l'agriculteur (leur contexte, leurs besoins, leur relation avec les informations, …), mettant les TIC en deuxième plan. Apparemment j'étais en train de me concentrer trop sur le moyen d'accès aux TIC et pas suffisamment sur l'agriculteur.
  • se libérer de l'hypothèse du rôle central des OP dans la circulation de l'information, surtout sur les aspects culturels. J'étais trop attaché à la mission de juin dernier et aux expériences visitées. Il faut regarder ailleurs, répertorier les projets d'application des TIC pour l'agriculture qui sont mis en œuvre par les plus diverses institutions (ONG, associations, OP). Les OP ne sont pas représentatives des aspects culturels liés à l'échange d'informations entre les agriculteurs. Les OP doivent être vues plutôt comme une "porte d'entrée".
  • établir des typologies, des caractérisations, à la fois (1) des agriculteurs en question, (2) de la nature des informations échangées [*], (3) des voies d'accès à l'information, (4) des approches méthodologiques déjà proposées dans la littérature scientifique et dans des rapports de projets pratiques.
  • prioriser les aspects culturels suivants dans l'analyse: relation entre information et pouvoir; utilisation des TIC et changement de valeurs; questions intergénérationnelles; questions liées au genre.
__________
[*] il est envisageable d'organiser un comité restreint de réflexion sur les contenus des échanges, sur les besoins en information des agriculteurs. Il serait important d'appréhender les questions traditionnelles des agriculteurs (en termes des préoccupations courantes liées au calendrier des cultures, par exemple). Cecilia et Mathilde sont disposées à m'aider dans l'approche de ces questions. Monsieur Blanchard est également intéressé à participer à ce comité restreint.

2 oct. 2008

Réunion avec CM

Avec : Claude Meyer, directeur de thèse
Quand : le 02 octobre 2008, de 11h à 12h
Où : Gare d'Austerlitz
Objet : point sur l'avancement académique de la thèse

Je commence à comprendre qu'est-ce que c'est être un thésard. Au lieu de vouloir être guidé par le directeur de thèse, il vaut mieux arriver de temps en temps avec des propositions (par des emails ou des textes plus structurés) et recueillir des critiques, des suggestions. Dans ce rencontre j'ai discuté avec Monsieur Meyer sur cet état d'esprit pour le travail de la thèse, sur les grandes étapes à suivre dans ce travail et sur des questions de la bibliographie. Résumant quelques suggestions:

  • Titre: "appropriation des TIC dans le contexte professionnel" au lieu de "utilisation professionnelle des TIC".
  • Question de départ: "pourquoi" au lieu de "comment", et "usage pertinent" au lieu de "efficacité".
  • Aspects culturels: les divers aspects culturels cités [1] constituent des thèmes en soi, il va falloir choisir sur quels aspects focaliser la recherche.
  • Bibliographie: ne pas chercher des livres pour l'instant, concentrer les efforts plutôt dans l'identification des laboratoires et des chercheurs qui travaillent avec des questions semblables (à partir des aspects culturels cités [1]). Une fois les chercheurs identifiés, chercher leurs publications et aussi des contacts directs. Voir aussi du côté des universités africaines (Dakar, Yaoundé, etc.), et des ONG dans lequel des chercheurs publient sur ces questions. Meyer est prêt à me répondre brièvement des messages hebdomadaires sur la lecture de publications: concrètement, je lui dis ce qui j'ai lu dans la semaine et il me dit si je suis dans la bonne direction.
  • Cadrage de la problématique: je dois rendre un document de 20 à 30 pages pour le 15 novembre prochain avec le cadrage des questions qui seront traités dans la thèse, à partir de la bibliographie (présenter l'état de connaissances actuel), problématisant les questions et proposant des possibles solutions. Attention pour les termes utilisés: dans des travails comme cela, on "suggère", on ne "montre" pas une solution. Ce document doit se baser complètement sur les lectures des publications, et non pas sur les impressions tirées de la mission de juin.
  • Parler avec les anciens doctorants de Monsieur Meyer: avoir divers points de vue sur le vécu de l'expérience de la thèse, l'organisation du travail, etc.
  • Lectures de base: sur l'épistémologie monsieur Meyer suggère Karl Popper (différence entre religion et science, la religion basé sur des dogmes, qui ne sont pas mis en question, et la science basé sur des théories, qui doivent toujours être mises en question constamment) et Gaston Bachelard (science comme succession d'erreurs). Meyer suggère encore la lecture du Discours de la méthode, de Descartes.
  • Recherche à partir du terrain: je fais effectivement une thèse à partir d'un questionnement lié au terrain. Nous sommes dans l'approche empirico-inductive, et donc on ne se base pas sur une théorie spécifique. Il est possible qu'on fasse allusion à une théorie, mais elle n'est pas le point de départ. Des hypothèses seront énoncés et testés sur le terrain, mais non pas nécessairement en relation avec une théorie spécifique. Voici quelques étapes qui ne doivent pas être considérées comme absolument indépendantes, séparées: 1) observation de problèmes du terrain, 2) répertoire de ce qui a déjà été fait dans le domaine de questionnement (biblio: chercheurs, publications), 3) cadrage de la problématique, 4) méthodologie pour travail de terrain, 5) mission sur le terrain, 6) rédaction.
L'axe de la thèse est donc la mise en cohérence de l'échange d'informations et de la construction de la connaissance professionnelle des agriculteurs ouest-africains.

Observation: Meyer ne vient pas à la réunion du 07 octobre 2008.
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[1] Quelques aspects culturels qui nous semblent pertinents:
  • la disposition à l'échange (demande exprimée), l'importance de l'oralité
  • l'attachement des nouvelles générations au monde rural et (potentiel influence)
  • partage du pouvoir au sein des OP (registre information-pouvoir)
  • le lien communautaire (la "solidarité contrainte")
  • l'influence de la technologie dans le changement des valeurs
  • la résistance à l'innovation technologique et méthodologique
  • manque de formalité, de précision et de rigueur des employées dans le contexte agricole
  • le pragmatisme