Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

22 mai 2009

suggestions d'un jury de thèse

Le 18 mai 2009, j'ai été à la soutenance de thèse de Susana Bleil à propos des Sans Terre au Sud du Brésil. Indépendamment de l'écart entre le sujet de cette thèse et celui de la mienne, quelques commentaires du jury m'ont semblé particulièrement pertinents, les voici:

sur le fond:
  • ne pas se cantonner à l'objet d'étude: comparer, mettre en relation, contextualiser, prendre de la distance
  • bien intégrer le théorique, le descriptif et l'analyse
  • réflechir aux conditions socioculturels d'engagement/desengagement aux intitutions locales
  • décrire l'hierarchie (et les rapports de pouvoir) dans ses expressions quotidiennes, dans la réalité concrète de la vie sociale
  • le plus fondamental en ce qui concerne les entretiens serait de "prendre au sérieux les choses qui sont importantes pour la personne devant toi"

sur la forme:
  • faire référence seulement aux textes qui effectivement a été utilisé dans la construction du raisonnement (des "références oubligées" qui ne sont pas vraiement utilisées finnissent par alourdir le texte sans nécessité)
  • pour faciliter la lecture, penser à utiliser pertinnement des images (aussi des cartes) et des encadrés

Félicitation à Susana par son succès dans sa thèse!

Article – Long, Villareal, 1999 - Savoir et Pouvoir

Auteur : Norman LONG & Magdalena VILLAREAL
Titre : L'enchevêtrement du savoir et du pouvoir dans les interfaces du développement
dans: "La reconnaissance du savoir rural: savoir de populations, recherche agricole et vulgarisation", sous la direction de Ian Scoones et John Thompson
Maison d’édition : Karthala et CTA
Année : 1999
Mots clés : savoir, pouvoir, développement rural


Voici quelques bribes des idées que Long et Villareal développent dans cet article. Une fois qu'ils traitent de la question de la construction du savoir la reliant à des aspects sociaux, parmi lesquels des rapport de pouvoir, cet article me semble particulièrement important pour ma thèse! J'ai essayé d'appuyer mes descriptions des idées avec des citations du texte.

  • le savoir se construit sur du savoir existant, et sa construction dépend de l'expérience socioculturelle des acteurs
"le traitement et l'absorption de nouveaux éléments d'information et de nouveaux cadres discursifs et cognitifs ne sont possibles qu'en se fondant sur des réseaux de savoir et des modes d'évaluation existants, qui sont à leur tour restructurés en passant par le canal de la communication. (...) le savoir repose sur l'accumulation de l'expérience sociale, des engagements et du caractère culturellement déterminé des acteurs concernés." (p.75)

  • des éléments présents dans le processus de construction ("création/diffusion") du savoir (p.75):
  1. "stratégies et faculté des acteurs à se fonder sur des répertoires de savoir existants et à absorber de nouvelles informations";
  2. "processus de validation par lesquels l'information nouvellement introduite et les sources dont elle émane sont jugés acceptables et utiles ou sont réfutées";
  3. "diverses transactions impliquant l'échange de matériel spécifique et d'avantages symboliques".

  • la construction du savoir dépend d'aspects sociaux et notamment des rapports de pouvoir entre les acteurs
"(…) la naissance et l'utilisation du savoir ne relèvent pas simplement de la notion de maîtrise, de l'efficacité technique ou de l'herméneutique (c'est-à-dire de la médiation de la compréhension d'autrui par un interprétation théorique de la nôtre), mais impliquent des éléments de contrôle, d'autorité et de pouvoir enchâssés dans les relations sociales. C'est pourquoi des dissonances notables sont probables entre les différentes catégories d'acteurs impliqués dans la production, la diffusion et l'utilisation du savoir. (…) les clivages sociaux importants ne coïncident pas parfaitement avec la distinction opérée entre les 'producteurs', les 'diffuseurs' et les 'utilisateurs' de savoir (Richards, 1985; Box, 1987; Rhoades et Bebbington, 1988)." (p.75)

  • la base d'interaction entre les acteurs est la discontinuité et non le lien… La signification est transformée et non pas transférée…
"(...) tant que nous conceptualiserons la création/diffusion du savoir en termes de liaison ou de transfert, sans prêter suffisamment d'attention à l'intervention de l'homme et à la transformation du sens au point d'intersection entre les mondes-vies des divers acteurs et sans analyser les interactions sociales en jeu, nous ne saisirons pas les sens même du savoir. C'est pourquoi nous proposons d'adopter comme fil conducteur la discontinuité et la transformation et non le lien et le transfert de la signification." (p.76)

  • il ne faut pas penser la différence de façon dichotomique (les acteurs extérieurs d'un côté et les locaux d'un autre) car le "groupe" des locaux n'est pas homogène. Il serait impossible de créer un système d'échange fructueux sans limiter l'adaptabilité aux changements et la capacité d'innovation des acteurs locaux… (…?...)
"(…) il n'est pas seulement improbable que différentes parties (agriculteurs, vulgarisateurs et chercheurs) partagent les mêmes priorités et paramètres cognitifs; on doit également s'attendre à une différenciation interne des communautés 'épistémiques' (c'est-à-dire celles qui ont en commun des sources et modes de savoir similaires) sur la base de leurs répertoires de savoir et de l'application qu'elles en font. C'est pourquoi la création des conditions favorisant l'émergence d'un système d'acquisition du savoir (impliquant des échanges mutuellement avantageux et des flux d'information entre différents acteurs) semble irréalisable; et pour autant que quelqu'un y parvienne, ce serait aux dépens de l'innovation et de l'adaptabilité au changement, toutes deux étant davantage tributaires de la diversité et de la fluidité du savoir que de l'intégration et de la systématisation." (p.76)

"Les processus d'acquisition du savoir (…) sont tout aussi à même de refléter et de nourrir les conflits existant entre les groupes sociaux que de conduire à l'élaboration de perceptions et d'intérêts communs. Et, pour autant qu'il s'agisse de l'état normal des choses, il devient alors irréaliste d'imaginer pouvoir 'gentiment' orienter les systèmes d'acquisition du savoir vers des modes d'intégration et de coordination meilleurs." (p.84)

  • L'intérêt est d'étudier les interfaces entre les divers mondes-vies et de comprendre l'origine des discontinuités caractéristiques de ces interfaces
"L'étude de ces interfaces s'attache donc essentiellement à analyser les discontinuités de la vie sociale. De telles discontinuités se caractérisent par des divergences en termes de valeurs, d'intérêts de savoir et de pouvoir. Les interfaces se produisent habituellement aux confluents de mondes-vies et de sphères sociales différents et souvent conflictuels." (p.77)

  • Plus que comprendre les différences de pouvoir et les conflits, il faut aussi comprendre la dynamique d'adaptation qui permet aux différents acteurs d'interagir
Les interactions entres les différents acteurs "doivent être analysées en tant que composantes des processus continus de négociation, d'adaptation et de transfert de sens qui s'élaborent entre les acteurs concernés." (p.77)

"L'analyse des interfaces, (...) implique non seulement la compréhension des conflits et des différences de pouvoir qui prévalent entre les parties concernées, mais également une tentative visant à mettre au jour la dynamique d'adaptation culturelle qui permet aux différentes visions du monde d'interagir." (pp.77)

  • il y une différence cognitive certaine entre les agriculteurs, les vulgarisateurs et les chercheurs:
"En prenant l'exemple de la culture de manioc en République Dominicaine, Box (1989) démontre en quoi les mondes-vies des chercheurs, des vulgarisateurs et des agriculteurs sont en partie hermétiques l'un pour l'autre. Il conclut:
'Les réseaux cognitifs sont très segmentés (…) ils séparent les communautés. (…) Les mondes-vies des participants, ou leurs systèmes de valeurs, leurs règles et leurs intérêts, sont si différents qu'ils ne permettent ni communication ni interaction entre les parties.' " (p.80)

  • des fonctionnements des réseaux de connaissances
"Comme l'ont révélé de précédentes études sur les réseaux de communication (notamment Allen et Cohen, 1969; Long, 1972; Long et Roberts, 1984), certains individus ou groupes deviennent souvent les éléments sociométriques incontournables d'un réseau défini de rapports sociaux ainsi que les points de jonction avec des sphères plus vastes. C'est-à-dire qu'ils font office de 'gardiens' ou d''intermédiaires' au service de réseaux et de sphères sociales structurellement plus éloignés." (p.81)

"(...) la diffusion efficace d'idées et d'informations au sein d'un réseau d'individus repose sur l'existence de ce que Granovetter (1983) nomme les 'liens superficiels', 'qui rapprochent les segments divergents des réseaux qui, sans cela, seraient isolés les uns des autres' (Milardo, 1988)." (p.81)

"(…) D'autre part, afin de pouvoir agir sur l'information, il est généralement nécessaire que les individus s'assurent le soutien d'autrui. Ceci suppose un consensus normatif minimum et, dans certains cas, la faculté d'établir des règles et de les faire respecter par les membres (Moore, 1973). Cette capacité présuppose l'existence d'un réseau social relativement dense qui, paradoxalement, pourrait également constituer un obstacle à l'assimilation de nouvelles informations et à l'adaptation rapide au changement de circonstances (Long, 1984)." (p.81)

  • l'agriculteur vu comme un stratège, participant à la maitrise humaine qui se manifeste à travers les relations sociales
"L'agriculteur a alors pour tâche de sélectionner et de coordonner les engagements normatifs et sociaux les plus appropriés en vue d'organiser les processus de production et de reproduction agricoles. Les décisions qu'il prend sont bien entendu fondées sur des préférences en termes de valeur ainsi que sur le savoir, les ressources et les relations disponibles. Dans cette optique, l'agriculteur est perçu comme un stratège actif qui aborde les situations, traite l'information et en rapproche les éléments requis pour faire fonctionner l'exploitation." (p.82)

"La notion d'acteur social est indissociable du concept de maitrise humaine, qui confère à l'acteur (individu ou groupe social) la capacité de tirer parti de l'expérience sociale et de concevoir des moyens pour s'en sortir dans la vie, même sous les conditions coercitives les plus extrêmes. Il importe néanmoins de souligner que la 'maîtrise' n'est pas simplement un attribut propre à l'acteur individuel. Elle se compose de relations sociales et ne peut devenir effective que par leur entremise." (p.82)

  • Le pouvoir et édification sociale du savoir...
Le savoir "naît de processus d'interaction sociale et, (...) est essentiellement le produit d'une rencontre d'horizons. Par conséquent, à l'instar du pouvoir, le savoir doit être envisagé de façon relationnelle et ne doit pas être perçu comme un bien. Le fait qu'un individu détienne du savoir ou du pouvoir ne signifie pas que d'autres n'en possèdent pas. Un modèle neutre s'avère donc inopportun. Néanmoins, tant le savoir que le pouvoir peuvent se trouver réifiés dans la vie sociale: c'est-à-dire qu'ils sont conçus en tant qu'objets matériels réels possédés par des agents et considérés comme 'acquis" incontestés." (p.84)

  • ...l'intérêt est d'étudier quels modèles prévalent et à quelles conditions
"(…) si nous admettons que nous avons affaire à des 'réalités multiples', à des intérêts sociaux et normatifs potentiellement conflictuels ainsi que à des conglomérats de savoir pluriels et fragmentés, il nous faut alors étudier de près quels interprétations ou modèles (à savoir ceux des agronomes, des hommes politiques, des agriculteurs ou de vulgarisateurs) prévalent sur ceux d'autres acteurs et dans quelles conditions. Les processus d'acquisition du savoir s'imbriquent dans des processus sociaux supposant pouvoir, autorité et légitimation." (p.84-85)

  • le pouvoir tant qu'expréssion des marges de manœuvre sociales
"L'analyse des processus du pouvoir ne doit donc pas se limiter à comprendre comment les contraintes sociales et l'accès aux ressources modèlent l'action sociale. Elle ne doit pas non plus conduire à une description de catégories hiérarchiques rigides et d'idéologies dominantes qui 'oppriment les victimes passives'. Au lieu de compatir idéologiquement à la malchance de ces victimes, il vaut mieux examiner dans quelle mesure certains acteurs spécifiques se sentent capables d'agir au sien de contextes ou de réseaux donnés et d'élaborer de stratégies à cet effet. Il ne s'agit pas ici de reconnaître le peu de place souvent accordé à l'initiative individuelle, mais plutôt de voir comment les acteurs se définissent et s'attribuent une marge de manœuvre pour prendre en compte leurs intérêts personnels et faire place au changement (Long, 1984)." (p.85)

"Promouvoir cette marge de manœuvre suppose un certain degré de négociation et de pouvoir, pas nécessairement un pouvoir économique ou politique, mais la possibilité de jouir d'une autorité, de prérogatives et de capacités d'action, sur le devant de la scène ou dans les coulisses, de façon éphémère ou à plus long terme (Villareal, 1992). Aussi, le pouvoir est-il fluctuant et, s'il est difficile, voir inutile, de le mesurer, il importe d'en faire une description plus précise. Ce qui fait la différence ce n'est pas tant le degré de pouvoir en jeu, mais la possibilité qu'il offre de surpasser les autres et d'en tirer profit. Le pouvoir suppose toujours luttes, négociations et compromis. Même ceux qui appartiennent à la catégorie des 'opprimés' ne sont pas des victimes passives à cent pour cent et peuvent s'engager dans une résistance active." (p.85)

"(…) les 'puissants' ne contrôlent pas totalement la situation et il ne faut pas négliger le fait que, dans une certaine mesure, ce sont les 'impuissants' qui forgent le pouvoir des premiers. Comme Scott (1985) le souligne, il est préférable de parler de résistance, d'adaptation et de complaisance stratégique. Bien que la résistance soit rarement une entreprise collective manifeste, des actes individuels de défis menés habillement, conjugués à une opposition et une mobilisation voilées, servent néanmoins à détourner les stratégies potentiellement coercitives ou opprimantes d'autres individus. Ainsi, le compromis et la complaisance stratégique, cachant parfois des actes de défi, se transforment en composantes de la vie sociale quotidienne (Scott, 1985)." (p.85)

  • La rhétorique et le dilemme de la "responsabilisation" : ici les auteurs développent une critique intéressante sur les approches participatives, se basant sur la possibilité de manipulation et en général sur l'impossibilité d'objectivité dans le processus vu les origines différentes des acteurs

"L'exposé de Kronenburg [(1986) examinant l'interaction entre les processus émancipateurs et manipulateurs dans un programme d'enseignement pratique au Kenya] décrit la nature complexe du pouvoir inhérent aux relations prévalant entre les praticiens du développement et leur 'partenaires' locaux dans le cadre de projets participatifs. Il révèle en outre comment les engagements sociaux extérieurs s'immiscent dans cette sphère et influencent le résultat des activités participatives. Aussi cette étude étaye-t-elle l'argument exposé précédemment selon lequel les processus sociaux (et notamment les interventions prétendument 'planifiées') sont très complexes et ne peuvent être aisément manipulés en recourant à des sources externes de pouvoir et d'autorité." (p.87)

Alors, je n'ai pas besoins de vous dire qu'on aura des citations de cet article dans ma thèse! :-)

15 mai 2009

Bill Cooke - limites psychologiques des méthodes participatives

Bill Cooke a organisé en 2001 un ouvrage avec Uma Kothari appelé "Participation: the new tyranny?" critiquant la mode d'application de méthodes participatives dans le domaine du développement. Le 7ème chapitre de ce livre, écrit par Bill Cooke lui-même, est dédié à la description de 4 risques des méthodes participatives liés au travail de prise de decision en groupe, et expliqués par la psychologie sociale. Le raisonnement de Bill Cooke dans ce chapitre me semble particulièrement intéressant pour susciter chez les praticiens et les chercheurs des précautions par rapport à l'application de méthodes participatives, mais ces risques ne mettent pas en question, à mon avis, l'intérêt de telles méthodes, surtout quand on considère l'importance de la participation pour l'appropriation des processus de développement par les agents locaux.

Les 4 risques décrits par Bill Cooke sont:

le "risky shift": le fait que les décisions prises en groupe on tendance à être plus risquées que celles prises individuellement. Plusieurs raisons sont avancées selon le contexte. Aux EUA, par exemple, la prise de risque est valorisée socialement et donc les personnes dans une discussion en groupe auraient tendance à vouloir se montrer plus propices à la prise de risque que elles les sont en vérité. Une autre raison que me semble plus général et que probablement joue un rôle dans la majorité des cas, indépendamment de l'origine des participants, est le fait que dans des décisions prises en groupe la responsabilisation des acteurs individuels peut sembler diminuée, en autres termes, les individus peuvent se sentir moins responsables par la décision prise en groupe et donc se sentir, chacun à son tour moins préoccupé avec les risques de la décision, ce qui donne comme résultat général la prise d'une décision plus risquée.

le "paradoxe d'Abilene": le fait que, d'après des intentions individuelles de correspondre à une volonté supposée du groupe, les décisions prises en groupe peuvent être à l'opposé des volontés individuelles. La volonté tout à fait légitime des membres d'un groupe à arriver à un consensus peut donner lieu à un effet indésirable: par un manque de compréhension mutuelle, chaque individu exprime un avis contraire à son opinion personnelle en voulant plaire à ses compagnons. La contagion mentale de cet état d'esprit peut aboutir à une décision qui finalement n'était soutenu véritablement par aucun des membres du groupe!

le "groupthink": l'attachement ferme du groupe à des idées ou des schémas mentaux spécifiques peut engendrer un manque de fléxibilité et d'ouverture qui les améne à rejetter, à partir d'une réaction emotionnelle, toute idée contraire à celles établies. Lorsque ce niveau d'attachement et d'identification idéologique est atteint dans un groupe, même des critiques venant des membres du propre groupe seront fermement rejetées, à un tel point que les membres se sentiront de moins en moins à l'aise pour présenter ouvertement des nouvelles critiques.

la "persuasion coercitive": le fait que l'art de la rhétorique peut être utilisé pour manipuler le groupe dans la prise de décision. Ainsi l'individu le plus communicatif et éloquent peut dominer la discussion et finalement faire passer ses idées comme celles portant la légitimité du choix collectif. Dans les projets de développement, cela nous ramène à la diversité des acteurs, en particulier les différences formelles et cognitives entre acteurs locaux et extérieurs: même sans le vouloir et indépendamment du niveau d'effort qu'il fasse pour minimiser son influence dans la prise de décision, l'animateur d'un groupe de discussion joue un rôle fondamental dans la conduction des échanges et la construction des décisions.

Ce sont certainement des points intéressants à prendre en compte dans tout travail en groupe,et particulièrement dans les méthodes participatives appliquées aux projets de développement. Je garde toutefois l'impression que ces réserves ne nient pas l'intérêt des méthodes participatives; elles montrent simplement qu'elle ne doivent pas être appliquées de façon naïve.

12 mai 2009

Article - Kiyindou, 2000

Auteur : Alain Kiyindou
Titre : Culture et appropriation de l'information générale et spécialisée en milieu rural africain
dans: Hermes
Année : 2000

quelques morceaux de l'article:

"L'appropriation dépasse donc la simple offre, la réponse à une demande d'information, mais elle devient construction, adaptation en fonction des besoins de l'individu, faite par l'individu lui-même. Cette adaptation s'étudie à travers les usages de l'information générale et spécialisée. En effet, l'appropriation est liée à l'usage de l'information, un usage qui dépend principalement de deux critères à savoir l'accessibilité et la validité de l'information, ce que Le Coadic définit à travers les concepts d'usabilité et d'utilité." (p.234)

"L'appropriation n'est donc pas la simple acquisition, mais une nouvelle expression de l'information dans laquelle se combinent créativité et adaptabilité. C'est à ce niveau qu'on parle du récepteur inventeur qui aujourd'hui ne se situe plus à la fin du processus de communication, mais qui en est le coeur même. (...) L'appropriation doit donc être replacée dans un contexte, c'est-à-dire qu'il faut tenir compte de la réalité socioculturelle dans l'analyse qui en est faite et surtout la considérer comme l'aboutissement d'un jeu d'acteurs avec chacun sa stratégie, un jeu dont la règle n'est en aucun cas dictée par le détenteur du savoir." (p.234)

"En ce qui concerne l'offre d'information en milieu rural africain, on peut constater qu'elle s'articule autour de trois axes principaux à savoir l'information agricole, l'information pour la santé et l'information pour la protection de l'environnement. (...) l'accès à toutes ces informations ainsi que leur usage restent influencés par un certain nombre d'éléments liés à la culture des destinataires." (p.235)

"Une information influencée par un certain nombre d'éléments culturels parmi lesquels figurent les codes sociaux, le magico religieux, l'attachement à la vie et les pratiques courantes." (p.236)

Parmi les codes sociaux, Kiyindou identifie les règles liées à la politesse et les règles de profération de la parole. Les codes de politesse s'appliquent notamment au salut, au regard, au silence.

"En ce qui concerne la profération de la parole, on peut constater que dans les sociétés africaines, celle-ci est régie par des conditions sociales et écologiques. En effet, la parole étant une force, sa pratique sociale doit être règlementée. Ainsi, de nombreuses zones de discours sont réservées à certaines catégories d'individus." (p.236)

"À côté de ces codes de politesse et de courtoisie existent des conditions écologiques de profération de la parole. Cela signifie qu'il y a des paroles, des mots qui ne peuvent pas être utilisés dans certaines circonstances." (p.237)

Et Kiyindou parle aussi de la question de l'analphabétisme:

"le fait que la diffusion de nouvelles techniques culturales ne se fasse pas toujours en langue maternelle est une difficulté de plus pour les paysans africains." (p.237)

et du conséquent seuil d'acceptabilité des informations:

"(...) l'analphabétisme est aussi à l'origine de nombreux phénomènes de réductions observées à ce sujet. En effet, quand l'information dépasse ce qu'on pourrait appeler le seuil d'acceptabilité, il y a application de mécanismes de réduction, simplification et généralisation par perte de détails. Un message trop complexe, trop riche en information tombe sous le coup de la simplification. Plus le message est riche en informations, et plus la perte est grande." (p.237-8)

Ensuite Kiyindou parle de l'importance du magico-religieux dans la vie des communautés rurales africaines. Les ancêtres, par exemple, sont très respectés et sont considéré avoir des pouvoir sur le monde sensible. Ce pouvoir ne se manifesterait à faveur des vivants si le laisse espace pour se déployer. Ainsi le réfu à l'objectivité viendrait de la préoccupation de garder l'incertitude pour laisser marge à la manifestation du mystérieux:

"(...) les ancêtres ont la possibilité de fructifier les récoltes, de multiplier les poissons, les animaux, les fruits... à la seule condition que cela reste mystérieux. Ils évitent donc d'intervenir sur des produits déjà comptés. Ainsi, les champs dont la surface a été mesurée ne verront pas celle-ci s'agrandir, la récolte dont les produits ont été comptés ne verra pas leur nombre augmenter par la volonté des ancêtres. Le magico religieux explique donc en partie le rejet de l'information spécialisée qui par nature est fait de chiffre, impose des calculs, des dosages, des mesures." (p.238)

Kiyindou parle ensuite du "refus de l'incertitude", comme des stratégie sécuritaires liées à l'attachement à la vie. Je me demande s'il ne s'agirait plutôt d'un réfu du changement, basé dans la peur de l'inconnu, de ce qui n'a pas encore été comprouvé par l'expérience. Kiyindou dit que:

"Les sociétés rurales africaines intègrent les apports extérieurs avec beaucoup de prudence."(p.239)

et que de refus "de l'incertitude" serait aussi caractérisé par un "attachement aux structures traditionnelles" (p.239).

Enfin, Kiyindou de la valeur sociale des informations et son influence sur la pertinence de ces informations:

"(...) l'intérêt des populations pour une information donnée varie selon le bénéfice que lui apporte celle-ci. Ainsi le consommateur est avant tout friand d'une information utile c'est-à-dire, celle qui peut lui permettre de faire face à la vie de tous les jours. Cette information doit donc être attractive, crédible, originale et durable. En milieu rural africain, une information est d'autant plus pertinente que la valeur sociale du produit dont elle traite est grande. (...) La valeur accordée à un arbre, à un animal, explique en partie l'intérêt accordé à l'information le concernant ou encore l'indifférence des populations par rapport à cette information." (p.240)

Pour finir:

"Les interventions pour le développement rural mettent en exergue l'importance des facteurs culturels dans l'appropriation de l'information. En effet, si la plupart des discours reconnaissent la nécessité d'une information adaptée aux capacités des utilisateurs, dans la pratique, celles-ci semblent ignorées par les concepteurs des programmes d'information." (p.241)

24 avr. 2009

ICTD 2009 - Mike Powell

J'ai été à la conférence ICTD 2009, et quelques idées de Mike Powell, directeur du programme IKM Emergent, me semblent très intéressantes. Voici ce qu'il a développé pendant le premier panel de la conférence, intitulé "Généalogie de la recherche en TIC pour le développement: prémisses, prédispositions et paradoxes". Dans cette occasion Mike Powell a exploré principalement la liaison entre les TIC et la notion de développement.

Tout d'abord il a dit qu'on est arrivé finalement à un consensus: TIC pour le développement ne s'agit pas d'un transfert rigide de technologies d'un endroit à l'autre, mais plutôt de l'adaptation et l'innovation à chaque occasion. Powell souligne que dans ces processus d'adaptation et forcement d'innovation dans la construction des usages effectifs des TIC, il faut s'attendre à ce qu'il appelle des développements inattendus. Il donne l'exemple de la révolution verte qui, même étant considérée un grand succès de par l'augmentation des rendements de la production agricole, a engendré des dégats environnementaux considérables. En bref, ne pas avoir une vision naïve et romantique de l'utilisation des TIC, mais être vigilant aux conséquences inattendues.

Ensuite il a parlé de sa vision de développement. Pour Powell, les résultats des efforts de développement doivent s'exprimer en dernière instance par un rétrécissement de la distance entre les riche et les pauvres. Selon lui, le développement doit se présenter comme des changements transformateurs de la condition de vie des populations en question. Ainsi, en ce qui concerne les ICTD (TIC pour le développement), il considère qu'il s'agit de la recherche, de la discussion et de la mise en oeuvre de changements informationnels possibles dans la realité en question.

Powell s'inspire des idées d'Amartya Sen pour identifier le développement avec l'action de "removing unfreedoms and providing choices". Powel soulinge alors une question culturelle importante qui écarte la communauté des TIC de cette notion de développement. Selon lui, la communauté d'ingénieurs caractéristique du secteur des TIC est habituée à modeliser des problèmes et à rechercher des solutions objectives pour ces problèmes. Or, Powell dit que "there are notions of development which don't suppose a series of problems requiring solutions, but a series of social processes which empower people and give them the capacity to make choices that they need to make to make their lives go forward". Il existerait une déséquilibre entre la façon de faire des ingénieurs (à la recherche de solutions) et cet objectif de rendre possible des choix. Selon Powell il serait nécessaire de passer de la logique du "I give you" à la logique du "we work on this together".

Powell souligne également le fait qu'il y a toujours une dimension ethique dans les processus de développement. Ces processus sont généralement présentés comme des situations "gangant-gangant", mais souvent ils bénéficient beaucoup plus une partie que les autres. Alors, il y aurait place pour la réflexion sur le rétrécissement ou l'élargissement de la distance entre les différents parties prenantes, en ce qui concerne les enjeux de pouvoir des processus de développement.

Finalement, Powell attire l'attention à la nécessité de revoir la formulation des termes de références des recherches établis par les bailleurs de fonds. Il dit que les bailleurs sont souvent très normatifs et contradictoires dans leurs demandes: "please have a wonderful creative research program but tell us exactly what the outputs will be in advance", ou "work in participatory ways with other people, but tell us what they are going to say in advance". Powell dit que la demande de transparence et de responsabilité (accountability) est complètement légitime, mais qu'il faudrait formuler ces demandes façon à permettre la réalisation de recherches créatives.

9 déc. 2008

Article – Balandier, 2008

Auteur : Georges Balandier
Titre : L'Afrique sait ce qu'elle est
dans: Afrique ambiguë
Maison d’édition : Plon
Année : 2008
Mots clés : Afrique, incompréhension par l'occident

Dans cette préface de l'édition de 2008 de l'Afrique ambiguë, l'anthropologue français Georges Balandier parle de la méconnaissance de l'occident par rapport à l'Afrique, et des conséquentes erreurs d'interprétation du contexte africain.
"L'Afrique, elle, sait ce qu'elle est. Elle l'a toujours su, mais nous en Occident, et beaucoup d'autres aussi, avons simplifié sa complexe réalité, ignoré sa force d'être et de maintenir ce qu'elle est, par notre incapacité peut-être, par paresse et calcul surtout." (p.I)
Pour Balandier, s'il y a encore des situations inacceptables, il y a aussi des processus de changement vers la démocratie, le développement, la reconnaissance des droits de l'homme…

Je voudrais seulement souligner un passage que me semble particulièrement parlant sur l'incompréhension du contexte africain par les occidentaux et l'insistance sur un modèle d'assistance venant de l'extérieur, comme si des solutions locales ne pouvaient pas émerger. Parlant du cas de "L'Arche de Zoé" qui "a prétendu évacuer en France une centaine d'"orphelins du Darfour", destinés à des familles d'accueil qui ont contribué financièrement à l'opération" (p.IX), Balandier dit que
cette affaire "manifeste la méconnaissance des rapports sociaux africains, des symboles et pratiques que les expriment, elle montre le maintien d'une imagerie qui fait accroire aux gens que les remèdes à une supposée incapacité africaine doivent nécessairement venir "du dehors"" (p.X)
Il cite la conclusion de Régis Debray sur ce type de dérive humanitaire:
pour meilleur, une charité sans frontières, pour le pire, "l'insouciance de ce qui fait que l'autre est un autre, et non pas le faire-valoir de notre suréminence." (p.X)

8 déc. 2008

Réunion point d'avancement à FARM 08déc08

Avec : Jean-Marie Blanchard, conseilleur professionnel pour la thèse. et Solène Morvant, chef de projet microfinance à FARM
Quand : le 08 décembre 2008, de10h à 12h
Où : à FARM
Objet : présentation et discussion sur le cadrage de la thèse

sur le cadrage:
  • il faut laisser claire ce je que compte faire, la valeur ajoutée de mon travail par rapport aux recherches qui ont déjà été faites.
  • Blanchard dit qu'il faudrait citer des projets appuyés par la BM et l'OCDE pour montrer que dans la majorité des cas l'approche choisie n'est pas celle de l'adaptation aux réalités locales avec un rôle central des acteurs locaux.
  • Solène dit qu'il est important de citer des études qui sont à la base de quelques conclusions présentées, de façon à laisser claire la légitimité scientifique de ces conclusions.

sur le vocabulaire:
  • "appropriation" est plus précis que "utilisation", Blanchard croit que le danger d'interprétation comme prescription des objets techniques existe dans les deux cas, donc l'idéel serait d'utiliser le premier terme et de laisser toujours claire l'approche socioculturelle et l'attention aux besoins exprimés par les agriculteurs. Un terme à éviter est "adoption" des technologies!
  • Blanchard suggère de parler plutôt de "services" que de "technologies", finalement c'est l'information que nous intéresse, l'objet technique derrière est relatif ("on peut faire de la téléphonie avec internet et vice-versa").
  • faire attention à la présentation de l'approche de l'innovation et bien préciser que, même si le nom de l'approche ne le précise pas, il s'agit d'une innovation technique, que cette approche ne tient pas en compte des innovation méthodologiques et des usages effectifs.

sur le fond:
  • Solène suggère la lecture des sujets de la construction sociale des marchés et de l'inégalité d'accès à l'information, elle me donnera des références.
  • Solène suggère qu'il serait important d'étudier le discours des usagers sur les TIC. Elle donne un exemple intéressant sur la représentation des concepts étrangers par des locaux qui rend évident le volet symbolique de cette représentation: l'utilisation du mot "corde" pour signifier "dette", car celle-ci attache, limite la liberté. Elle a rappelé que les africains sont très imagés.
  • Sur le détournement de priorités en Afrique, Blanchard parle d'enquêtes faites au Mali, et dit que des nombreuses personnes qui déclaraient d'un côté ne pas arriver à équilibrer leurs budgets, étaient par l'autre côté prêtes à dépenser 1000 FCFA par semaine avec le téléphone portable. Cela non pas en raison d'une question de reconnaissance sociale, mais de besoins concrets par rapport à des liens sociaux. D'autres études semblent montrer qu'une augmentation de consommation avec le téléphone portable engendrait une diminution de la consommation de bière.

sur la méthodo:
  • Solène va me suggérer des références sur des outils méthodologiques, parfois quantitatifs, qui peuvent être intéressants (présentation des résultats avec des graphiques en toile d'araignée).
  • Solène dit aussi qu'il ne sera pas facile d'isoler la par des TIC dans les influences sociales étudiées.

sur le terrain:
  • Solène a attiré l'attention à l'importance de rester ouvert à l'expérience du terrain, étant toujours prêt à adapter les approches et mêmes les questions selon la réalité rencontrée sur le terrain.
  • Blanchard considère qu'une bonne échelle pour le terrain serait la zone d'actuation d'une OP, l'important étant d'intégrer dans l'analyse tous les maillons de la chaine de production (mais aussi la chaine d'information, n'est-ce pas?...).
  • il serait intéressant de privilégier des zones de production vivrière.
  • Blanchard suggère le repérage de 4 ou 5 cas pour ensuite procéder au choix du plus pertinent.

général:
  • Dans le même esprit de la visite d'expériences en Inde, Blanchard suggère qu'il serait instructif de regarder des expériences en Afrique de l'Est.
  • Blanchard suggère le film "Bamako".

Merci à Monsieur Blanchard et à Solène de l'attention et de ces suggestions!