Français: Blog sur la thèse de doctorat d'Eric Pasquati, dont le thème est l'appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par des agriculteurs ouest-africains.

English: Eric Pasquati's PhD concerning the appropriation of ICT by farmers in West Africa. Please, fell free to leave your comments in English.

Português: Tese de doutorado de Eric Pasquati sobre a apropriação das tecnologias da informação e da comunicação (TIC) pelos agricultores da
África do Oeste. Será um prazer discutir também em Português sobre o tema.

Español: Tesis de doctorado de Eric Pasquati sobre la
apropiación de las tecnologías de información y de la comunicación (TIC) por los agricultores del África de l'Oeste. Sientan la libertad de dejar también sus comentarios en español.

20 oct. 2008

Entretien avec Michel Puech

Avec : Michel Puech, philosophe
Quand : le 16 octobre 2008, de 15h30 à 16h30
Où : à la Sorbonne
Mots-clés: TIC, appropriation, culture, éthique

Dans cette discussion avec le philosophe Michel Puech, on a abordé la question de l'appropriation des TIC dans un contexte culturel différent. On a discuté sur la dynamique d'appropriation, sur l'importance de la compréhension des besoins et de la vision du monde de l'utilisateur potentiel, sur l'intérêt ou la nécessité d'intermédiaires dans l'utilisation des TIC par des agriculteurs, et finalement, sur des questions éthiques liées à l'influence culturelle.


Deux phases d'appropriation

Puech suggère que le processus d'appropriation des TIC a deux phases distinctes. La première est une phase d'amorçage, où il faut franchir la barrière d'apprentissage (la barrière d'appropriation) qui sépare les utilisateurs potentiels d'un côté, et les TIC de l'autre. Probablement il aura une dimension pédagogique à explorer pour franchir cette barrière culturelle dans le cas des agriculteurs ouest-africains. C'est seulement après que cette phase est franchie qu'il y a la possibilité d'atteindre la maitrise partielle et la manipulation autonome des TIC, une phase dans laquelle les utilisateurs adaptent l'usage des TIC de façon indépendante et innovante, selon leurs propres besoins spécifiques. Un exemple ce sont les jeunes qui commencent par utiliser des blogs avec les fonctionnalités standardisées et que dans la suite s'engagent dans l'apprentissage d'un langage de communication spécifique qui leur permettra d'adapter et créer des nouvelles fonctionnalités selon leurs propres intérêts.


"Entrer dans la culture"

Puech considère qu'avant de faire de propositions sur l'utilité des TIC dans un contexte donné, il faut tenter "d'entrer dans la culture" en question. Il faut comprendre ce qui l'usager potentiel a à l'esprit, ce qu'il fait et ce qu'il veut. Des propositions artificielles et "étrangères" à la réalité locale risquent toujours d'être reçues comme soumission (technique ou culturelle), ce qui engendre un comportement défensif de la part des locaux et donc contraire à l'appropriation. "Il faut prendre des gens comme ils sont".


La transparence et les intermédiaires, enjeux de pouvoir

Si les TIC sont accessibles à tous de façon transparente (c'est-à-dire, l'usager l'utilise sans se demander ni savoir comment elles fonctionnent), et comme il y a toujours le risque de panne, une dépendance chronique des utilisateurs vis-à-vis des experts s'installe. Si au contraire les TIC sont de plus en plus maitrisées par les utilisateurs, minimisant cette dépendance, le pouvoir technique des ingénieurs et des experts en informatique est mis en question. Il y a donc des enjeux de pouvoir à prendre en compte dans la stratégie et/ou l'évolution de l'appropriation des TIC.
Ceci dit, dans une bonne partie des cas envisagés et au moins à court et moyen terme, les agriculteurs eux-mêmes n'auront pas accès direct aux TIC – des intermédiaires probablement assureront le dernier maillon dans les échanges d'information. Ainsi, Puech parle de la création "d'élites intermédiaires", qui s'approprieraient les TIC et serviraient d'intermédiaire pour faire les agriculteurs bénéficier des informations échangées grâce aux TIC. D'un côté, cela réduit le nombre de personnes qui devraient être "converties" au monde des TIC pour assurer une utilisation pertinente de ces technologies. De l'autre côté, cela pose la question de la relation entre cette nouvelle élite et les agriculteurs, avec de nouveaux enjeux de pouvoir à prendre en compte.
Dans cette analyse de la transparence et des intermédiaires Puech attire l'attention au fait que nous occidentaux sommes souvent obsédés du cognitif, et qu'on aurait tendance à valoriser et/ou à promouvoir une appropriation profonde des TIC par tous les utilisateurs potentiels. Puech dit qu'il faudrait remettre en question cette obsession du cognitif, et se demander de façon pragmatique quel est l'intérêt dans le cas des agriculteurs ouest-africains: la compréhension complète du fonctionnement des TIC, ou leur utilisation pratique pour l'obtention de résultats concrets? Cela rejoint la préoccupation de répondre à des besoins des agriculteurs en information et en communication et non pas de penser l'utilisation des TIC comme une fin en soi.


Influence culturelle, une question éthique

Partant de l'évidence que, pour notre culture et vision actuelle du monde, l'utilisation des TIC peut être bénéfique à la dynamisation des échanges d'informations entre les membres d'un groupe, on considère légitime ainsi la considérer également pour des agriculteurs en Afrique de l'Ouest. L'action de promotion de l'utilisation des TIC demanderait ce que Puech nomme une "optimisation culturelle" des agriculteurs ou des intermédiaires. Tout de suite une question fondamentalement éthique se pose: avons-nous le droit de modifier la culture de l'autre? Une autre question de même genre mais plus spécifique: promouvoir l'utilisation des TIC par une parcelle de la population qui jouerait le rôle d'intermédiaires par rapport à la majorité des agriculteurs n'est pas créer ou promouvoir des inégalités?
Selon Puech, il faut d'abord assumer le fait que notre système de valeurs est "destructeur" des autres cultures. Selon lui la seule possibilité qu'une culture reste inchangée par rapport à la nôtre est de ne pas entrer en contact avec cette dernière. Les facilités et les conforts développés dans notre culture auraient un pouvoir irrésistible d'attraction. Il exemplifie cela disant qu'il est "impossible" de continuer à faire de l'arc et de la flèche après connaître le fusil. Il faut donc prendre conscience de cette influence qu'on aura dans les autres cultures lors qu'on essaie d'aider une société quelconque dans son processus de développement.
Ensuite, Puech dit que notre éthique nous donne une certaine liberté d'action et d'influence dépendant de notre objectif dans l'action: si l'objectif était de vendre des TIC aux paysans, la démarche de promouvoir l'utilisation des TIC ne serait pas en accord avec notre éthique; mais si l'objectif est d'aider les agriculteurs à augmenter leur sécurité alimentaire, d'améliorer leurs conditions de vie, en bref, dans leur propre intérêt, on peut se permettre d'influencer leur culture, même si cette influence engendre la dégradation de quelques aspects de leur culture originale.
Finalement Puech parle de "transaction évolutive" pour caractériser le contact entre cultures. Il aura toujours des gains et des pertes liés à l'influence d'une culture sur une autre. Cela caractérise une transaction dans le sens qu'il doit exister une négociation et une prise de conscience par rapport à l'influence. Un point fondamental est qu'il faut considérer, au-delà de l'aspect matériel, l'aspect symbolique des gains et surtout des pertes liées à cette transaction.

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